ce m'etait odieuse.
La conversation languissait, et Seniha avait des intonations ironiques.
Je me raidissais contre moi-meme, ayant pris une resolution si forte,
que cette femme n'avait plus le pouvoir de la vaincre.
--Madame, dis-je,--toujours en turc,--quand viendra le moment ou
vous me causerez le chagrin de me quitter (et je souhaite que ce moment
tarde beaucoup encore), me permettrez-vous de vous reconduire?
--Merci, dit-elle, j'ai quelqu'un.
C'etait une femme a precautions: un aimable eunuque, habitue sans doute
aux escapades de sa maitresse, se tenait, a toute eventualite, pres de
la porte de ma maison.
La grande dame, en passant le seuil de ma demeure, eut un mauvais rire
qui me fit monter la colere au visage, et je ne fus pas loin de saisir
son bras rond pour la retenir.
Je me calmai cependant, en songeant que je ne m'etais nullement derange,
et que, des deux roles que nous avions joue, le plus drole assurement
n'etait pas le mien.
XLVII
Achmet, qui ne devait plus revenir, se presenta le lendemain des huit
heures.
Il s'etait compose une mine tres bourrue, et me salua d'un air froid.
L'histoire de Seniha-hanum l'eut bientot mis en grande gaiete; il en
conclut, comme a l'ordinaire, que j'etais _tchok cheytan_ (tres malin)
et s'assit dans un coin pour en rire plus a l'aise.
Quand plus tard, dans nos courses a cheval, nous rencontrions la voiture
de Seniha-hanum, il prenait des airs si narquois, que je fus oblige de
lui faire a ce sujet des representations et un sermon.
XLVIII
J'expediai Achmet a Oun-Capan chez Kadidja. Il avait mission d'instruire
cette macaque de confiance de la reception faite a Seniha; de la prier
de dire a Aziyade que j'implorais mon pardon, et que je desirais le soir
meme sa chere presence.
J'expediai en meme temps dans la campagne trois enfants charges de me
rapporter des branches de verdure, et des gerbes, de pleins paniers de
narcisses et de jonquilles. Je voulais que la vieille maison prit ce
jour-la pour son retour un aspect inaccoutume de joie et de fete.
Quand Aziyade entra le soir, du seuil de la porte a l'entree de notre
chambre, elle trouva un tapis de fleurs; les jonquilles detachees de
leurs tiges couvraient le sol d'une epaisse couche odorante; on etait
enivre de ce parfum suave, et les marches sur lesquelles elle avait
pleure ne se voyaient plus.
Aucune reflexion ni aucun reproche ne sortit de sa bouche rose, elle
sourit seule
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