e jeune femme etrangement charmante, du nom d'Aziyade,
qui m'a aide a passer a Salonique mon temps d'exil,--et un vagabond,
Samuel, que j'ai pris pour ami. Le moins possible j'habite le Deerhound;
j'y suis intermittent (comme certaines fievres de Guinee), reparaissant
tous les quatre jours pour les besoins du service. J'ai un bout de case
a Constantinople, dans un quartier ou je suis inconnu; j'y mene une vie
qui n'a pour regle que ma fantaisie, et une petite Bulgare de dix-sept
ans est ma maitresse du jour.
L'Orient a du charme encore; il est reste plus oriental qu'on ne pense.
J'ai fait ce tour de force d'apprendre en deux mois la langue turque; je
porte fez et cafetan,--et je joue a l'_effendi_, comme les enfants
jouent aux soldats.
Je riais autrefois de certains romans ou l'on voit de braves gens
perdre, apres quelque catastrophe, la sensibilite et le sens moral;
peut-etre cependant ce cas-la est-il un peu le mien. Je ne souffre plus,
je ne me souviens plus: je passerais indifferent a cote de ceux
qu'autrefois j'ai adores.
J'ai essaye d'etre chretien, je ne l'ai pas pu. Cette illusion sublime
qui peut elever le courage de certains hommes, de certaines femmes,--nos
meres par exemple,--jusqu'a l'heroisme, cette illusion m'est refusee.
Les chretiens du monde me font rire; si je l'etais, moi, le reste
n'existerait plus a mes yeux; je me ferais missionnaire et m'en irais
quelque part me faire tuer au service du Christ ...
Croyez-moi, mon pauvre ami, le temps et la debauche sont deux grands
remedes; le coeur s'engourdit a la longue, et c'est alors qu'on ne
souffre plus. Cette verite n'est pas neuve, et je reconnais qu'Alfred de
Musset vous l'eut beaucoup mieux accommodee; mais, de tous les vieux
adages, que, de generation en generation, les hommes se repassent,
celui-la est un des plus immortellement vrais. Cet amour pur que vous
revez est une fiction comme l'amitie; oubliez celle que vous aimez pour
une coureuse. Cette femme ideale vous echappe; eprenez-vous d'une fille
de cirque qui aura de belles formes.
Il n'y a pas de Dieu, il n'y a pas de morale, rien n'existe de tout ce
qu'on nous a enseigne a respecter; il y a une vie qui passe, a laquelle
il est logique de demander le plus de jouissances possible, en attendant
l'epouvante finale qui est la mort.
Les vraies miseres, ce sont les maladies, les laideurs et la vieillesse;
ni vous ni moi, nous n'avons ces miseres-la; nous pouvons avoir encore
une foule d
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