preserver des passions; car il y a des passions qui
donnent la mort, et cette fleur en est l'embleme: c'est une fleur-reine,
on en couronne les triomphateurs; mais elle est, comme l'orgueil, un
poison subtil.
--Et cependant, Giovanna, ce n'est pas l'orgueil qui vous tue, dit Ezzelin
en recevant ce triste don; l'orgueil ne tue que les hommes; c'est l'amour
qui tue les femmes.
--Mais ne savez-vous pas, Ezzelin, que, chez les femmes, l'orgueil est
souvent le mobile de l'amour? Ah! nous sommes des etres sans force et sans
vertu, ou plutot notre faiblesse et notre energie sont egalement
inexplicables! Quand je songe a la puerilite des moyens qu'on emploie pour
nous seduire, a la legerete avec laquelle nous laissons la domination de
l'homme s'etablir sur nous, je ne comprends pas l'opiniatrete de ces
attachements si prompts a naitre, si impossibles a detruire. Tout a
l'heure je redisais une romance que vous devez vous rappeler, puisque
c'est vous qui l'avez composee pour moi. Eh bien! en la chantant, je
songeais a ceci, que la naissance de Venus est une fiction d'un sens bien
profond. A son debut, la passion est comme une ecume legere que le vent
ballotte sur les flots. Laissez-la grandir, elle devient immortelle. Si
vous en aviez le temps, je vous prierais d'ajouter a ma romance un couplet
ou vous exprimeriez cette pensee; car je la chante souvent, et bien
souvent je pense a vous, Ezzelin. Croiriez-vous que tout a l'heure,
lorsque vous avez prononce mon nom de la fenetre de la galerie, votre voix
ne m'a pas laisse le moindre doute? Et quand je vous ai apercu dans le
crepuscule, mes yeux n'ont pas hesite un instant a vous reconnaitre. C'est
que nous ne voyons pas seulement avec les yeux du corps. L'ame a des sens
mysterieux, qui deviennent plus nets et plus percants a mesure que nous
declinons rapidement vers une fin prematuree. Je l'avais souvent oui dire
a mon oncle. Vous savez ce qu'on raconte de la bataille de Lepante. La
veille du jour ou la flotte ottomane succomba sous les armes glorieuses de
nos ancetres autour de ces ecueils, les pecheurs des lagunes entendirent
autour de Venise de grands cris de guerre, des plaintes dechirantes, et
les coups redoubles d'une canonnade furieuse. Tous ces bruits flottaient
dans les ondes et planaient dans les cieux. On entendait le choc des armes,
le craquement des navires, le sifflement des boulets, les blasphemes des
vaincus, la plainte des mourants; et cependant aucun combat naval
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