le et d'obtenir son rappel. Si je ne
l'obtenais pas, disais-je, j'irais partager son exil a Curzolari.
Cependant je n'osai point executer ce projet avant d'avoir recu la reponse
d'Orio; car plus on aime, plus on craint d'offenser l'etre qu'on aime. Il
me repondit, dans les termes les plus tendres, qu'il me suppliait de ne
pas venir le rejoindre, et que, quant a demander pour lui un conge a mon
oncle, il serait fort blesse que je le fisse. Il avait des ennemis dans
l'armee, disait-il; le bonheur d'avoir obtenu ma main lui avait suscite
des envieux qui tachaient de le desservir aupres de l'amiral, et qui ne
manqueraient pas de dire qu'il m'avait lui-meme suggere cette demarche,
afin de recommencer une vie de plaisir et d'oisivete. Je me soumis a cette
derniere defense; mais quand a la premiere, comme il ne me donnait pas
d'autres motifs de refus que la tristesse de cette demeure et les
privations de tout genre que j'aurais a y souffrir, comme sa lettre me
semblait plus passionnee qu'aucune de celles qu'il m'eut ecrites, je crus
lui donner une preuve de devouement en venant partager sa solitude; et
sans lui repondre, sans lui annoncer mon arrivee, je partis aussitot. Ma
traversee fut longue et penible; le temps etait mauvais. Je courus mille
dangers. Enfin j'arrivai ici, et je fus consternee en n'y trouvant point
Orio. Il etait parti pour cette malheureuse expedition de Patras, et la
garnison etait dans de grandes inquietudes sur son compte. Plusieurs jours
se passerent sans que je recusse aucune nouvelle de lui; je commencais a
perdre l'esperance de le revoir jamais. M'etant fait montrer l'endroit ou
il avait appareille et ou il devait aussi debarquer, j'allais chaque jour,
de ce cote, m'asseoir sur un rocher, et j'y restais des heures entieres a
regarder la mer. Bien des jours se passerent ainsi sans amener aucun
changement dans ma situation. Enfin, un matin, en arrivant sur mon rocher,
je vis sortir d'une barque un soldat turc accompagne d'un jeune garcon
vetu comme lui. Au premier mouvement que fit le soldat je reconnus Orio,
et je descendis en courant pour me jeter dans ses bras; mais le regard
qu'il attacha sur moi fit refluer tout mon sang vers mon coeur, et le
froid de la mort s'etendit sur tous mes membres. Je fus plus bouleversee
et plus epouvantee que le jour ou je l'avais vu pour la premiere fois, et,
comme ce jour-la, je tombai evanouie: il me semblait avoir vu sur son
visage la menace, l'ironie et le mepris a le
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