pouvoir ni me lever
ni detourner la tete. Au moment ou Soranzo, arrive pres de moi, se courba
pour me baiser la main, ne voyant plus ces deux yeux qui m'avaient
jusque-la petrifiee, je m'evanouis. On m'emporta, et mon oncle, s'excusant
sur mon indisposition, le pria de remettre sa visite a un autre jour. Vous
vous retirates aussi sans comprendre la cause de mon evanouissement.
"Orio, qui connaissait mieux les femmes et le pouvoir qu'il avait sur
elles, pensa qu'il pouvait bien etre pour quelque chose dans mon mal
subit: il resolut de s'en assurer. Il passa une heure a se promener sur le
Canalazzo, puis se fit de nouveau debarquer au palais Morosini. Il fit
appeler le majordome, et lui dit qu'il venait savoir de mes nouvelles.
Quand on lui eut repondu que j'etais completement remise, il monta,
presumant, disait-il, qu'il ne pouvait plus y avoir d'indiscretion a se
presenter, et il se fit annoncer une seconde fois. Il me trouva bien palie,
bien embellie, disait-il, par ma paleur meme. Mon oncle etait un peu
serieux; pourtant il le remercia cordialement de l'interet qu'il me
portait, et de la peine qu'il avait prise de revenir sitot s'informer de
ma sante. Et comme, apres ces compliments, il voulait se retirer, on le
pria de rester. Il ne se le fit pas dire deux fois, et continua la
conversation. Resolu deja a profiter du premier effet qu'il avait produit,
il s'etudia a deployer d'un coup devant moi tous les dons qu'il avait
recus de la nature, et a soutenir les charmes de sa personne par ceux de
son esprit. Il reussit completement; et lorsque, au bout de deux heures,
il prit le parti de se retirer, j'etais deja subjuguee. Il me demanda la
permission de revenir le lendemain, l'obtint, et partit avec la certitude
d'achever bientot ce qu'il avait si heureusement commence. Sa victoire ne
fut ni longue ni difficile. Son premier regard m'avait intime l'ordre
d'etre a lui, et j'etais deja sa conquete. Puis-je vraiment dire que je
l'aimais? Je ne le connaissais pas, et je n'avais presque entendu dire de
lui que du mal. Comment pouvais-je preferer un homme qui ne m'inspirait
encore que de la crainte a celui qui m'inspirait la confiance et l'estime?
Ah! devrais-je chercher mon excuse dans la fatalite? Ne ferais-je pas
mieux d'avouer qu'il y a dans le coeur de la femme un melange de vanite
qui s'enorgueillit de regner en apparence sur un homme fort, et de lachete
qui va au-devant de sa domination? Oui! oui! j'etais vaine de la beaut
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