dit Ezzelin avec un triste sourire, quel interet
pouvez-vous prendre a mon sort? Que suis-je pour vous? Votre affection ne
m'a point elu epoux; votre confiance ne veut pas m'accepter pour frere;
car vous refusez mes secours, et pourtant j'ai la certitude que vous en
avez besoin.
--Ma confiance et mon affection sont a vous comme a un frere; mais je ne
comprends pas ce que vous me dites quand vous me parlez de secours. Je
souffre, il est vrai; je me consume dans une agonie affreuse, mais vous
n'y pouvez rien, mon cher Ezzelin; et puisque nous parlons de confiance et
d'affection, Dieu seul peut me rendre celles de Soranzo!
--Vous avouez que vous avez perdu son amour, madame; n'avouerez-vous point
que vous avez a sa place herite de sa haine?"
Giovanna tressaillit, et, retirant sa main avec epouvante:
"Sa haine! s'ecria-t-elle, qui donc vous a dit qu'il me haissait? Oh!
quelle parole avez-vous dite, et qui vous a charge de me porter le coup
mortel? Helas! vous venez de m'apprendre que je n'avais pas encore
souffert, et que son indifference etait encore pour moi du bonheur."
Ezzelin comprit combien Giovanna aimait encore ce rival que, malgre lui,
il venait d'accuser. Il sentit, d'une part, la douleur qu'il causait a
cette femme infortunee, et de l'autre, la honte d'un role tout a fait
oppose a son caractere; il se hata de rassurer Giovanna, et de lui dire
qu'il ignorait absolument les sentiments d'Orio a son egard, mais elle eut
bien de la peine a croire qu'il eut parle ainsi par sollicitude et sous
forme d'interrogation.
"Quelqu'un ici vous aurait-il parle de lui et de moi? lui repeta-t-elle
plusieurs fois en cherchant a lire sa pensee dans ses yeux. Serait-ce mon
arret que vous avez prononce sans le savoir, et suis-je donc la seule ici
a ignorer qu'il me hait? Oh! je ne le croyais pas!"
En parlant ainsi, elle fondit en larmes; et le comte, qui, malgre lui,
avait senti l'esperance se reveiller dans son coeur, sentit aussi que son
coeur se brisait pour toujours. Il fit un effort magnanime sur lui-meme
pour consoler Giovanna, et pour prouver qu'il avait parle au hasard. Il
l'interrogea affectueusement sur sa situation. Affaiblie par ses pleurs et
vaincue par la noblesse des sentiments d'Ezzelin, elle s'abandonna a plus
d'expansion qu'elle n'avait resolu peut-etre d'en avoir.
"O mon ami! lui dit-elle, plaignez-moi, car j'ai ete insensee en
choisissant pour appui cet etre superbe qui ne sait point aimer! Orio
n'e
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