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forte que moi." --Helas! helas! dit Giovanna, oui c'etait une destinee! Je le sentais deja, car mon amour est ne de la peur, et, avant que je connusse a quel point cette peur etait fondee, elle regnait deja sur moi. Tenez, Ezzelin, il y a toujours eu en moi un instinct de sacrifice et d'abnegation, comme si j'eusse ete marquee, en naissant, pour tomber en holocauste sur l'autel de je ne sais quelle puissance avide de mon sang et de mes larmes. Je me souviens de ce qui se passait en moi lorsque vous me pressiez de vous epouser, avant le jour fatal ou j'ai vu Soranzo pour la premiere fois. "Hatons-nous, me disiez-vous; quand on s'aime, pourquoi tarder a etre heureux? Parce que nous sommes jeunes tous deux, ce n'est pas une raison pour attendre. Attendre, c'est braver Dieu, car l'avenir est son tresor; et ne pas profiter du present, c'est vouloir d'avance s'emparer de l'avenir. Les malheureux doivent dire: Demain! et les heureux: Aujourd'hui! Qui sait ce que nous serons demain? Qui sait si la balle d'un Turc ou une vague de la mer ne viendra pas nous separer a jamais? Et vous-meme, pouvez-vous assurer que demain vous m'aimerez comme aujourd'hui?" Un vague pressentiment vous faisait ainsi parler sans doute, et vous disait de vous hater. Un pressentiment plus vague encore m'empechait de ceder, et me disait d'attendre. Attendre quoi? Je ne savais pas; mais je croyais que l'avenir me reservait quelque chose, puisque le present me laissait desirer. --Vous aviez raison, dit le comte, l'avenir vous reservait l'amour. --Sans doute, reprit Giovanna avec amertume, il me reservait un amour bien different de ce que j'eprouvais pour vous. J'aurais tort de me plaindre, car j'ai trouve ce que je cherchais. J'ai dedaigne le calme, et j'ai trouve l'orage. Vous rappelez-vous ce jour ou j'etais assise entre mon oncle et vous? Je brodais, et vous me lisiez des vers. On annonca Orio Soranzo. Ce nom me fit tressaillir, et en un instant tout ce que j'avais entendu dire de cet homme singulier me revint a la memoire. Je ne l'avais jamais vu, et je tremblai de tous mes membres quand j'entendis le bruit de ses pas. Je n'apercus ni son magnifique costume, ni sa haute taille, ni ses traits empreints d'une beaute divine, mais seulement deux grands yeux noirs pleins a la fois de menace et de douceur, qui s'avancaient vers moi fixes et etincelants. Fascinee par ce regard magique, je laissai tomber mon ouvrage, et restai clouee sur mon fauteuil, sans
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