ue mon oncle ignorerait ses imprudences, et que je vendrais
plutot mes diamants en secret que de lui attirer un reproche. Voyant qu'il
ne m'ecoutait pas, je m'affligeai profondement et lui reprochai doucement
d'etre plus sensible a une perte d'argent qu'a la douleur qu'il me
causait. Soit qu'il cherchat un pretexte pour me quitter, soit que j'eusse
involontairement froisse son orgueil par ce reproche, il se pretendit
outrage par mes paroles, entra en fureur et me declara qu'il voulait
reprendre du service. Des le lendemain, malgre mes supplications et mes
larmes, il demanda de l'emploi a l'amiral, et fit ses apprets de depart. A
tous autres egards, j'eusse trouve dans la tendresse de mon oncle recours
et protection. Il eut dissuade Orio de m'abandonner, il l'eut ramene vers
moi; mais il s'agissait de guerre, et la gloire de la republique l'emporta
encore sur moi dans le coeur de mon oncle. Il blama paternellement ma
faiblesse, me dit qu'il mepriserait Soranzo s'il passait son temps aux
pieds d'une femme, au lieu de defendre l'honneur et les interets de sa
patrie; qu'en montrant, durant la derniere campagne, une bravoure et des
talents de premier ordre, Orio avait contracte l'engagement et le devoir
de servir son pays tant que son pays aurait besoin de lui. Enfin, il
fallut ceder; Orio partit, et je restai seule avec ma douleur.
"Je fus longtemps, bien longtemps sous le coup de cette brusque
catastrophe. Cependant les lettres d'Orio, pleines de douceur et
d'affection, me rendirent l'esperance; et, sans les angoisses de
l'inquietude lorsque je le savais expose a tant de perils, j'aurais encore
goute une sorte de bonheur. Je m'imaginai que je n'avais rien perdu de sa
tendresse, que l'honneur imposait aux hommes des lois plus sacrees que
l'amour; qu'il s'etait abuse lui-meme lorsque, dans l'enthousiasme de ses
premiers transports, il m'avait dit le contraire; qu'enfin il reviendrait
tel qu'il avait ete pour moi dans nos plus beaux jours. Quelles furent ma
douleur et ma surprise lorsqu'a l'entree de l'hiver, au lieu de demander a
mon oncle l'autorisation de venir passer pres de moi cette saison de repos
(autorisation qui certes ne lui eut pas ete refusee), il m'ecrivit qu'il
etait force d'accepter le gouvernement de cette ile pour la repression des
pirates! Comme il me marquait beaucoup de regrets de ne pouvoir venir me
rejoindre, je lui ecrivis a mon tour que j'allais me rendre a Corfou, afin
de me jeter aux pieds de mon onc
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