coeur et un pauvre
esprit quand il se lassait de ce bonheur et retournait aux miserables
triomphes de l'amour-propre. Orio parlait ainsi devant moi, parce qu'il
avait entendu dire que vous aviez perdu mon affection pour n'avoir pas
voulu me promettre de ne point retourner a la guerre.
"Il voyait que j'avais une ame tendre, un caractere timide, et que l'idee
de le voir s'eloigner de moi aussitot apres notre mariage me faisait
hesiter. Il voulait m'epouser, et rien ne lui eut coute, m'a-t-il dit
depuis, pour y parvenir; il n'eut recule devant aucun sacrifice, devant
aucune promesse imprudente ou menteuse. Oh! qu'il m'aimait alors! Mais la
passion des hommes n'est que du desir, et ils se lassent aussitot qu'ils
possedent. Tres-peu de temps apres notre hymenee, je le vis preoccupe et
devore d'agitations secretes. Il se jeta de nouveau dans le bruit du monde,
et attira chez moi toute la ville. Il me sembla voir que cet amour du jeu
qu'on lui avait tant reproche, et ce besoin d'un luxe effrene qui le
faisait regarder comme un homme vain et frivole, reprenaient rapidement
leur empire sur lui. Je m'en effrayai; non que je fusse accessible a des
craintes vulgaires pour ma fortune, je ne la considerais plus comme mienne
depuis que j'avais cede avec bonheur a Orio l'heritage de mes ancetres.
Mais ces passions le detournaient de moi. Il me les avait peintes comme
les amusements miserables qu'une ame ardente et active est forcee de se
creer, faute d'un aliment plus digne d'elle. Cet aliment seul digne de
l'ame d'Orio, c'etait l'amour d'une femme comme moi. Toutes les autres
l'avaient trompe ou lui avaient semble indignes d'occuper toute son
energie. Il aurait ete force de la depenser en vains plaisirs. Mais
combien ces plaisirs lui semblaient meprisables depuis qu'il possedait en
moi la source de toutes les joies! Voila comment il me parlait; et moi,
insensee, je le croyais aveuglement. Quelle fut donc mon epouvante quand
je vis que je ne lui suffisais pas plus que ne l'avaient fait les autres
femmes, et que, prive de fetes, il ne trouvait pres de moi qu'ennui et
impatience! Un jour qu'il avait perdu des sommes considerables, et qu'il
etait en proie a une sorte de desespoir, j'essayai vainement de le
consoler en lui disant que j'etais indifferente aux consequences facheuses
de ses pertes, et qu'une vie de mediocrite ou de privations me semblerait
aussi douce que l'opulence, pourvu qu'elle ne me separat point de lui. Je
lui promis q
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