ine une
magnifique robe de soie brochee d'or, dans le gout oriental. Je ne sais
quelle pensee traversa l'esprit d'Ezzelin.
"Votre seigneurie ne mange pas?" dit-il d'un ton un peu brusque.
Il lui sembla qu'Orio se troublait. Neanmoins il repondit avec assurance:
"Votre seigneurie prend trop d'interet a ma personne. Je ne mange point a
cette heure-ci.
--Vous paraissez souffrant," reprit Ezzelin en le regardant tres-fixement
et sans aucun detour."
Cette insistance deconcerta visiblement Orio.
"Vous avez trop de bonte, repondit-il avec une sorte d'amertume; l'air de
la mer m'excite beaucoup le sang.
--Mais votre seigneurie est blessee a cette main, si je ne me trompe? dit
Ezzelin, qui avait vu les yeux d'Orio se porter involontairement sur son
propre bras droit.
Blesse! s'ecria Giovanna en se levant a demi avec anxiete.
Eh! mon Dieu, madame, vous le savez bien, repondit Orio en lui lancant un
de ces coups d'oeil qu'elle craignait si fort. Voila deux mois que vous me
voyez souffrir de cette main."
Giovanna retomba sur sa chaise, pale comme la mort, et Ezzelin vit dans sa
physionomie qu'elle n'avait jamais entendu parler de cette blessure.
"Cet accident date de loin? dit-il d'un ton indifferent, mais ferme.
--De mon expedition de Patras, seigneur comte."
Ezzelin examina Leontio. Il avait la tete penchee sur son verre et
paraissait savourer un vin de Chypre d'exquise qualite. Le comte lui
trouva une attitude sournoise, et un air de duplicite qu'il avait pris
jusque-la pour de la pauvrete d'esprit.
Il persista a embarrasser Orio.
"Je n'avais pas oui dire, reprit-il, que vous eussiez ete blesse a cette
affaire; et je me rejouissais de ce qu'au milieu de tant de malheurs
celui-la, du moins, vous eut ete epargne."
Le feu de la colere s'alluma enfin sur le front d'Orio. "Je vous demande
pardon, seigneur comte, dit-il d'un air ironique, si j'ai oublie de vous
envoyer un courrier pour vous faire part d'une catastrophe qui parait vous
toucher plus que moi-meme. En verite, je suis _marie_ dans toute la force
du terme, car mon rival est devenu mon meilleur ami.
--Je ne comprends pas cette plaisanterie, messer, repondit Giovanna d'un
ton plus digne et plus ferme que son etat d'abattement physique et moral
ne semblait le permettre.
--Vous etes susceptible aujourd'hui, mon ame," lui dit Orio d'un air
moqueur; et, etendant sa main gauche sur la table, il attira celle de
Giovanna vers lui et la baisa.
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