re ou il est et de quoi il
s'occupe. Quelquefois il me fait dire qu'il profite du temps calme pour
faire une longue promenade sur mer, et j'apprends ensuite qu'il n'est
point sorti du chateau. D'autres fois il pretend qu'il s'enferme le soir
pour travailler, et je le vois, au lever du jour, dans sa barque, cingler
rapidement sur les flots grisatres, comme s'il voulait me cacher qu'il a
passe la nuit dehors. Je n'ose plus l'interroger; car alors sa figure
prend une expression effrayante, et tout tremble devant lui. Je lui cache
mon desespoir, et les instants qu'il passe pres de moi, au lieu de
m'apporter quelque soulagement, sont pour moi un veritable supplice; car
je suis forcee de veiller a mes paroles et a mes regards meme, pour ne
point laisser echapper une seule de mes sinistres pensees. Quand il voit
une larme rouler dans mes yeux malgre moi, il me presse la main en silence,
se leve et me quitte sans me dire un mot. Une fois j'ai ete sur le point
de me jeter a ses genoux et de m'y attacher, de m'y trainer pour obtenir
qu'il partageat au moins ses soucis avec moi, et pour lui promettre de
souscrire a tous ses desseins sans faiblesse et sans terreur. Mais, au
moindre mouvement que je fais, son regard me cloue a ma place, et la
parole expire sur mes levres. Il semble que, si ma douleur eclatait devant
lui, le reste de compassion et d'egards qu'il me temoigne se changerait en
fureur et en aversion. Je suis restee muette! Voila pourquoi, quand vous
me parlez de sa haine, je dis qu'elle est impossible, car je ne l'ai point
meritee: je meurs en silence."
Ezzelin remarqua que ce recit laissait dans l'ombre la circonstance la
plus importante de celui de Leontio. Giovanna ne semblait nullement
considerer Soranzo comme aliene, et les questions detournees qu'il lui
adressa prudemment a cet egard n'amenerent aucun eclaircissement. Giovanna
manquait-elle d'une confiance absolue en lui, ou bien Leontio avait-il
fait de faux rapports? Voyant que ses investigations etaient infructueuses,
Ezzelin conclut du moins qu'elle mourrait de langueur et de tristesse si
elle restait dans ce triste chateau, et il la supplia de se rendre a
Corfou aupres de son oncle. Il s'offrit a l'y conduire sur-le-champ; mais
elle rejeta bien loin cette proposition, disant que pour rien au monde
elle ne voudrait laisser soupconner a son oncle qu'elle n'etait point
heureuse avec Orio; car la moindre plainte de sa part le ferait
infailliblement tomber dans la
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