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d'Orio; j'etais fiere de toutes les passions qu'il avait inspirees, et de
tous les duels dont il etait sorti vainqueur. Il n'y avait pas jusqu'a sa
reputation de debauche qui ne semblat un titre a l'attention et un appat
pour la curiosite des autres femmes. Et j'etais flattee de leur enlever ce
coeur volage et fier qui les avait toutes trahies, et qui, a toutes, avait
laisse de longs regrets. Sous ce rapport du moins, mon fatal amour-propre
a ete satisfait. Orio m'est reste fidele, et, du jour de son mariage, il
semble que les femmes n'aient plus rien ete pour lui. Il a semble m'aimer
pendant quelque temps: puis bientot il n'a plus aime ni moi ni personne,
et l'amour de la gloire l'a absorbe tout entier; et je n'ai pas compris
pourquoi, ayant un si grand besoin d'independance et d'activite, il avait
contracte des liens qui ordinairement sont destines a restreindre l'une et
l'autre."
Ezzelin regarda attentivement Giovanna. Il avait peine a croire qu'elle
parlat ainsi sans arriere-pensee, et que son aveuglement allat jusqu'a ne
pas soupconner les vues ambitieuses qui avaient porte Orio a rechercher sa
main. Voyant la candeur de cette ame genereuse, il n'osa pas chercher a
l'eclairer, et il se borna a lui demander comment elle avait perdu si vite
l'amour de son epoux. Elle le lui raconta en ces termes:
"Avant notre hymenee, il semblait qu'il m'aimat eperdument. Je le croyais
du moins; car il me le disait, et ses paroles ont une eloquence et une
conviction a laquelle rien ne resiste. Il pretendait que la gloire n'etait
qu'une vaine fumee, bonne pour enivrer les jeunes gens ou pour etourdir
les malheureux. Il avait fait la derniere campagne pour faire taire les
sots et les envieux qui l'accusaient de s'enerver dans les plaisirs. Il
s'etait expose a tous les dangers avec l'indifference d'un homme qui se
conforme a un usage de son temps et de son pays. Il riait de ces jeunes
gens qui se precipitent dans les combats avec enthousiasme, et qui se
croient bien grands parce qu'ils ont paye de leur personne et brave des
perils que le moindre soldat affronte tranquillement. Il disait qu'un
homme avait a choisir dans la vie entre la gloire et le bonheur; que, le
bonheur etant presque impossible a trouver, le plus grand nombre etait
force de chercher la gloire; mais que l'homme qui avait reussi a s'emparer
du bonheur, et surtout du bonheur dans l'amour, qui est le plus complet,
le plus reel et le plus noble de tous, etait un pauvre
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