plumes
qu'une esclave moresque agitait sur son front; mais, au bruit que fit le
comte en s'approchant, elle se souleva brusquement sur ses coussins, et
fixa sur lui un regard ou brillait la fievre. Elle lui tendit les deux
mains a la fois pour serrer la sienne avec force; puis elle lui parla avec
enjouement, avec esprit, comme si elle l'eut retrouve a Venise au milieu
d'un bal. Un instant apres, elle etendit le bras pour prendre, des mains
de l'esclave, un flacon d'or incruste de pierres precieuses, qu'elle
respira en palissant, comme si elle eut ete pres de defaillir; puis elle
passa ses doigts nonchalants sur les cordes de son luth, fit a Ezzelin
quelques questions frivoles dont elle n'ecouta pas les reponses; enfin, se
soulevant et s'accoudant sur le rebord d'une etroite fenetre placee
derriere elle, elle attacha ses regards sur les flots noirs ou commencait
a trembler le reflet de l'etoile occidentale, et tomba dans une muette
reverie. Ezzelin comprit que le desespoir etait en elle.
Au bout de quelques instants, elle fit signe a ses femmes de se retirer,
et lorsqu'elle fut seule avec Ezzelin, elle ramena sur lui ses grands yeux
bleus cernes d'un bleu encore plus sombre, et le regarda avec une
singuliere expression de confiance et de tristesse. Ezzelin, jusque-la
mortellement trouble de sa presence et de ses manieres, sentit se
reveiller en lui cette tendre pitie qu'elle semblait implorer. Il fit
quelques pas vers elle; elle lui tendit de nouveau la main, et l'attirant
a ses pieds sur un coussin:
"O mon frere! lui dit-elle, mon noble Ezzelin! vous ne vous attendiez pas
sans doute a me retrouver ainsi! Vous voyez sur mes traits les ravages de
la souffrance; ah! votre compassion serait plus grande si vous pouviez
sonder l'abime de douleur qui s'est creuse dans mon ame!
--Je le devine, madame, repondit Ezzelin; et puisque vous m'accordez le
doux et saint nom de frere, comptez que j'en remplirai tous les devoirs
avec joie. Donnez-moi vos ordres, je suis pret a les executer fidelement.
--Je ne sais ce que vous voulez dire, mon ami, reprit Giovanna; je n'ai
point d'ordres a vous donner, si ce n'est d'embrasser pour moi votre soeur
Argiria, le bel ange, de me recommander a ses prieres et de garder mon
souvenir, afin de vous entretenir de moi quand je ne serai plus. Tenez,
ajouta-t-elle en detachant de sa chevelure d'ebene une fleur de
laurier-rose a demi fletrie, donnez-lui ceci en memoire de moi, et
dites-lui de se
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