ne fut
livre cette nuit-la, ni sur l'Adriatique, ni sur aucune autre mer. Mais
ces ames simples eurent comme une revelation et une perception anticipee
de ce qui arriva le lendemain a la clarte du soleil, a deux cents lieues
de leur patrie. C'est le meme instinct qui m'a fait savoir la nuit
derniere que je vous verrais aujourd'hui; et ce qui vous paraitra fort
etrange, Ezzelin, c'est que je vous ai vu exactement dans le costume que
vous avez maintenant, et pale comme vous l'etes. Le reste de mon reve est
sans doute fantastique, et pourtant je veux vous le dire. Vous etiez sur
votre galere aux prises avec les pirates, et vous dechargiez votre
pistolet a bout portant sur un homme dont il m'a ete impossible de voir la
figure, mais qui etait coiffe d'un turban rouge. En ce moment la vision a
disparu.
--Cela est etrange, en effet," dit Ezzelin en regardant fixement Giovanna,
dont l'oeil etait clair et brillant, la parole animee, et qui semblait
sous l'inspiration d'une sorte de puissance divinatoire.
Giovanna remarqua son etonnement, et lui dit:
"Vous allez croire que mon esprit est egare. Il n'en est rien cependant.
Je n'attache point a ce reve une grande importance, et je n'ai point la
puissance des sibylles. Combien ne m'eut-elle pas ete precieuse en ces
heures d'inquietude devorante qui se renouvellent sans cesse pour moi, et
qui me tuent lentement! Helas! dans ces perils auxquels Soranzo s'expose
chaque jour, c'est en vain que j'ai interroge de toute la puissance de mes
sens et de toute celle de mon ame l'horreur des tenebres ou les brumes de
l'horizon; ni dans mes veilles desolees, ni dans mes songes funestes, je
n'ai trouve le moindre eclaircissement au mystere de sa destinee. Mais
avant d'en finir avec ces visions qui sans doute vous font sourire,
laissez-moi vous dire que l'homme au turban rouge de mon reve vous a fait,
en s'effacant dans les airs, un signe de menace. Laissez-moi vous dire
aussi, et pardonnez-moi cette faiblesse, que j'ai senti, au moment ou la
vision a disparu, une terreur que je n'avais pas eprouvee tant que le
tableau de ce combat avait ete devant mes yeux; ne meprisez pas tout a
fait les apprehensions d'un esprit plus chagrin que malade. Il me semble
qu'un grand peril vous menace de la part des pirates, et je vous supplie
de ne pas vous remettre en mer sans avoir engage mon epoux a vous donner
une escorte jusqu'a la sortie de nos ecueils. Promettez-moi de le faire.
--Helas! madame, repon
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