ours il n'y aura plus un rocher ou les pirates
puissent cacher leurs barques, pas une greve ou ils osent tracer
l'empreinte de leurs pieds, pas un toit de pecheur ou ils puissent abriter
leurs tetes. Et dis-leur ceci surtout: Si on epargnait la vie d'un seul
Venitien de cette galere, et si Hussein, se laissant seduire par l'espoir
d'une forte rancon, consentait a emmener leur chef en captivite, dis-lui
que mon alliance avec lui serait rompue sur-le-champ, et que je me
mettrais moi-meme a la tete des forces de la republique pour l'exterminer,
lui et toute sa race. Il sait que je connais les ruses de son metier mieux
que lui-meme; il sait que sans moi il ne peut rien. Qu'il songe donc a ce
qu'il pourrait contre moi, et qu'il se souvienne de ce qu'il doit
craindre! Va; dis-lui que je compterai les heures, les minutes; lorsqu'il
sera maitre de la galere, il tirera trois coups de canon pour m'avertir;
puis il la coulera bas, apres l'avoir depouillee entierement... Demain
soir il sera ici pour me rendre ses comptes. S'il ne me presente un gage
certain de la mort du chef venitien, sa tete! je le ferai pendre aux
creneaux de ma grande tour. Va, telle est ma volonte. N'en omets pas une
syllabe... Maudit trois fois soit l'infame qui m'a mis hors de combat! Eh
quoi! n'aurais-je pas la force de me trainer jusqu'a cette barque?
Aide-moi, Naam! si je puis seulement me sentir ballotter par la vague, mes
forces reviendront! Rien ne reussit a ces maudits pirates quand je ne suis
pas avec eux..."
Orio essaye de se trainer jusqu'au milieu de sa chambre; mais le frisson
de la fievre fait claquer ses dents; les objets se transforment devant ses
yeux egares, et a chaque instant il lui semble que les angles de son
appartement vont se jeter sur lui et serrer ses tempes comme dans un
etau.
Il s'obstine neanmoins, il cherche d'une main tremblante a ebranler le
verrou de l'issue secrete. Ses genoux flechissent. Naam le prend dans ses
bras, et, soutenue par la force du devouement, le ramene a son lit et l'y
replace; puis elle garnit sa ceinture de deux pistolets, examine la lame
de son poignard et prepare sa lampe. Elle est calme; elle sait qu'elle
s'acquittera de sa mission ou qu'elle y laissera sa vie. Enfant de Mahomet,
elle sait que les destinees sont ecrites dans les cieux, et que rien
n'arrive au gre des hommes si la fatalite s'est jouee d'avance de leurs
desseins.
Orio se tord sur sa couche. Naam souleve le tapis de damas qui cache a
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