st point comme vous un homme de tendresse et de devouement; c'est un
homme d'action et de volonte. La faiblesse d'une femme ne l'interesse pas,
elle l'embarrasse. Sa bonte se borne a la tolerance; elle ne s'etend pas
jusqu'a la protection. Aucun homme ne devrait moins inspirer l'amour, car
aucun homme ne le comprend et ne l'eprouve moins. Et cependant cet homme
inspire des passions immenses, des devouements infatigables. On ne l'aime
ni ne le hait a demi, vous le savez; et vous savez aussi sans doute que,
pour les hommes de cette nature, il en est toujours ainsi. Plaignez-moi
donc; car je l'aime jusqu'au delire, et son empire sur moi est sans
bornes. Vous voyez, noble Ezzelin, que mon malheur est sans ressources. Je
ne me fais point illusion, et vous pouvez me rendre cette justice, que
j'ai toujours ete sincere avec vous comme avec moi-meme. Orio merite
l'admiration et l'estime des hommes, car il a une haute intelligence, un
noble courage et le gout des grandes choses; mais il ne merite ni l'amitie
ni l'amour, car il ne ressent ni l'un ni l'autre; il n'en a pas besoin, et
tout ce qu'il peut pour les etres qui l'aiment, c'est de se laisser aimer.
Souvenez-vous de ce que je vous ai dit a Venise, le jour ou j'ai eu le
courage egoiste de vous ouvrir mon coeur, et de vous avouer qu'il
m'inspirait un amour passionne, tandis que vous ne m'inspiriez qu'un amour
fraternel.
--Ne rappelons pas ce jour de triste memoire, dit Ezzelin; quand la
victime survit au supplice, chaque fois que son souvenir l'y reporte, elle
croit le subir encore.
--Ayez le courage de vous rappeler ces choses avec moi, reprit Giovanna;
nous ne nous reverrons peut-etre plus, et je veux que vous emportiez la
certitude de mon estime pour vous, et du repentir que j'ai garde de ma
conduite a votre egard.
--Ne me parlez pas de repentir, s'ecria Ezzelin attendri; de quel crime,
ou seulement de quelle faute legere etes-vous coupable? N'avez-vous pas
ete franche et loyale avec moi? N'avez-vous pas ete douce et pleine de
pitie, en me disant vous-meme ce que tout autre a votre place m'eut fait
signifier par ses parents et sous le voile de quelque pretexte specieux!
Je me souviens de vos paroles: elles sont restees gravees dans mon coeur
pour mon eternelle consolation et en meme temps pour mon eternel regret.
"Pardonnez-moi, avez-vous dit, le mal que je vous fais, et priez Dieu que
je n'en sois pas punie; car je n'ai plus ma volonte, et je cede a une
destinee plus
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