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son frere l'en arracha, elle sentit quelque chose se briser en elle, comme
si un vif regret l'eut atteinte au fond de l'ame. Elle se laissa emmener
sans pouvoir dire un mot, et la bonne tante, qui avait une confiance sans
bornes dans la sagesse et la dignite d'Ezzelin, le suivit sans lui faire
une seule question.
La fete des noces fut magnifique, et dura plusieurs jours; mais le comte
Ezzelin n'y reparut pas: il etait reparti le soir meme pour Padoue,
emmenant sa tante et sa soeur avec lui.
C'etait certainement beaucoup pour un homme presque ruine la veille d'etre
devenu l'epoux d'une des plus riches heritieres de la republique et le
neveu du generalissime; c'etait de quoi satisfaire une ambition ordinaire.
Mais rien ne suffisait a Orio, parce qu'il abusait de tout. Il ne lui
aurait rien fallu de moins qu'une fortune de roi pour subvenir a ses
depenses de fou. C'etait un homme a la fois insatiable et cupide, a qui
tous les moyens etaient bons pour acquerir de l'argent, et tous les
plaisirs bons pour le depenser. Il avait surtout la passion du jeu.
Accoutume qu'il etait a tous les dangers et a toutes les voluptes, ce
n'etait plus que dans le jeu qu'il trouvait des emotions. Il jouait donc
d'une maniere qui, meme dans ce pays et ce siecle de joueurs, semblait
effrayante, exposant souvent, sur un coup de des, sa fortune tout entiere,
gagnant et perdant vingt fois par nuit le revenu de cinquante familles. Il
ne tarda pas a faire de larges trouees dans la dot de sa femme, et sentit
bientot qu'il fallait ou changer de vie ou reparer ses pertes, s'il ne
voulait se trouver dans la meme position qu'avant son mariage. Le
printemps etait revenu, et l'on s'appretait a reprendre les hostilites. Il
declara a Morosini qu'il desirait garder l'emploi que la republique lui
avait confie sous ses ordres, et regagna ainsi, par son ardeur militaire,
les bonnes graces de l'amiral, qu'il avait commence a perdre par sa
mauvaise conduite. Quand le moment fut venu de mettre a la voile, il se
rendit a son poste avec sa galere, et appareilla avec le reste de la
flotte au commencement de 1686.
Il prit une part brillante a tous les principaux combats qui signalerent
cette memorable campagne, et se distingua particulierement au siege de
Coron et a la bataille que gagnerent les Venitiens sur le capitan-pacha
Mustapha dans les plaines de la Laconie. Quand l'hiver arriva, Morosini,
apres avoir mis en etat de defense ses nombreuses conquetes, me
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