posee.
Ne songeant plus a sa vengeance et se reprochant meme d'en avoir eu la
pensee, mais voulant a toute force eclaircir ses soupcons, Ezzelin
retourna a la fete, et bientot il vit son rival rentrer avec un groupe de
convies. Il avait sa dague a la ceinture, et cette circonstance revela a
Ezzelin l'attention qu'Orio avait faite a son geste dans l'escalier. "Eh
quoi! pensa-t-il, il a cru que j'avais le dessein de l'assassiner? Il n'a
eu ni assez d'estime pour moi ni assez de calme et de presence d'esprit
pour me montrer que la partie n'etait pas egale; et sa frayeur va ete si
subite, si aveugle, qu'il n'a pas pris le temps d'apercevoir le mouvement
que j'ai fait pour rentrer ma dague dans le fourreau en voyant qu'il
n'avait pas la sienne! Cet homme n'a pas le coeur d'un noble, et je serais
bien etonne si quelque lachete secrete ou quelque crime inconnu n'avait
pas deja fletri en lui le principe de l'honneur et le sentiment du
courage."
Des ce moment la fete devint encore plus insupportable a Ezzelin. Il
remarqua d'ailleurs que, tout en causant avec Giovanna, sa soeur avait
laisse Orio s'approcher d'elle, et qu'elle repondait a ses questions
oiseuses et frivoles avec une timidite de moins en moins hautaine. Orio
pensait reellement que son rival avait des projets de vengeance; il
voulait voir si Argiria etait dans la confidence, et, comptant surprendre
ce secret dans le maintien candide de la jeune fille, il la surveillait de
pres et l'obsedait de ses impertinentes cajoleries, fixant sur elle ce
regard de faucon qui, disait-on, avait sur toutes les femmes un pouvoir
magique. Argiria, elevee dans la retraite, enfant plein de noblesse et de
purete, ne comprenait rien a l'emotion inconnue que ce regard lui causait.
Elle se sentait prise d'une sorte de vertige, et lorsque Soranzo reportait
ensuite ses yeux enflammes d'amour sur Giovanna et lui adressait des
epithetes passionnees, elle sentait son coeur battre et ses joues bruler,
comme si ces regards et ces paroles eussent ete adresses a elle-meme.
Ezzelin n'apercut pas son trouble interieur; mais le bal allait commencer,
il craignit qu'Orio n'invitat sa soeur a danser, et il ne pouvait souffrir
qu'elle se familiarisat avec la conversation et les manieres d'un homme
pour qui sa haine se changeait en mepris. Il alla prendre Argiria par la
main, et, la reconduisant aupres de sa tante, il les supplia l'une et
l'autre de se retirer. Argiria etait venue a regret a la fete; et q
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