ie, et son caractere
sembla etre aussi change que sa conduite. D'aventureux et de temeraire, il
devint circonspect et mefiant; la perte de sa principale galere lui en
faisait, disait-il, un devoir. Celle qui lui restait ne pouvait plus se
risquer dans des parages eloignes. Elle demeura donc en observation non
loin de la crique de rochers qui lui servait de port, et se borna a courir
des bordees autour de l'ile, sans la perdre de vue. Encore n'etait-ce plus
Orio qui la commandait. Il avait confie ce soin a son lieutenant, et n'y
mettait plus le pied que de loin en loin pour y passer des revues.
Toujours enferme dans l'interieur du chateau, il semblait plonge dans le
desespoir. Les soldats murmuraient hautement contre lui sans qu'il parut
s'en soucier; mais tout d'un coup il sortait de son apathie pour infliger
les chatiments les plus severes, et ses retours a l'autorite de la
discipline etaient marques par des cruautes qui retablissaient la
soumission et faisaient regner la crainte pendant plusieurs jours.
Cette maniere d'agir porta ses fruits. Les pirates, encourages d'une part
par le desastre de Soranzo a Patras, de l'autre par la timidite de ses
mouvements autour des iles Curzolari, reparurent dans le golfe de Lepante
et s'avancerent jusque dans le detroit; et bientot ces parages devinrent
plus perilleux qu'ils ne l'avaient jamais ete. Presque tous les navires
marchands qui s'y engageaient disparaissaient aussitot, sans qu'on en
recut jamais aucune nouvelle, et ceux qui arrivaient a leur destination
disaient n'avoir du leur salut qu'a la rapidite de leur marche et a
l'opportunite du vent.
Cependant le comte Ezzelino avait quitte l'Italie de son cote, sans revoir
ni Giovanna ni le palais Morosini. Peu de jours apres le mariage de
Soranzo, il avait fait ses adieux a sa famille, et avait obtenu de la
republique un ordre de depart. Il s'etait embarque pour la Moree, ou il
esperait oublier, dans les agitations de la guerre et les fumees de la
gloire, les douleurs de l'amour et les blessures faites a son orgueil. Il
s'etait distingue non moins que Soranzo dans cette campagne, mais sans y
trouver la distraction et l'enivrement qu'il y cherchait. Toujours triste
et fuyant la societe des gens plus heureux que lui, se sentant mal a
l'aise d'ailleurs aupres de Morosini, il avait obtenu de celui-ci le
commandement de Coron durant l'hiver. Cependant il arriva que Morosini,
apprenant les nouveaux ravages de la piraterie, resolut
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