aire son devoir, de la protection d'un jeune homme comme
moi."
Ezzelino, reste seul, se promena avec agitation dans la salle. Le soleil
etait couche et le jour baissait. Le ciel eteignait peu a peu sa pourpre
brulante dans les flots de la mer d'Ionie. Les rivages denteles de la
Carnie encadraient la scene immense qui se deployait autour de l'ile. Le
comte s'arreta devant l'etroite croisee a double ogive fleurie qui
dominait, a une elevation de plus de cent pieds, ce tableau splendide. Ce
chateau, dont les murailles lisses tombaient sur un rocher a pic toujours
battu des vagues, semblait prendre ses racines profondes dans l'abime et
vouloir s'elancer jusqu'aux nues. Son isolement sur cet ecueil lui donnait
un aspect audacieux et miserable a la fois. Ezzelino, tout en admirant
cette situation pittoresque, sentit comme une sorte de vertige, et se
demanda si une telle residence n'etait pas bien propre a exalter jusqu'au
delire un esprit impressionnable comme devait l'etre celui de Soranzo.
L'inaction, la maladie et le chagrin lui parurent, dans un pareil sejour,
des tortures pires que la mort, et une sorte de pitie vint adoucir
l'indignation qui jusque-la avait rempli son ame.
Mais il resista a cet instinct d'un ame trop genereuse, et, comprenant
l'importance du devoir qu'il s'etait impose, il s'arracha a sa
contemplation, et reprit sa marche rapide le long de la grande salle.
Un affreux silence, indice de terreur et de desespoir, regnait dans cette
demeure guerriere, ou le bruit des armes et le cri des sentinelles eussent
du, a toute heure, se meler a la voix des vents et des ondes. On n'y
entendait que le cri des oiseaux de mer qui s'abattaient, a l'entree de la
nuit, par troupes nombreuses, sur les recifs et les flots qui se brisaient
solennellement en elevant une grande plainte monotone dans l'espace.
Ce lieu avait ete temoin jadis d'une grande scene de gloire et de carnage.
Autour de ces ecueils Curzolari (les antiques Echinades), l'heroique
batard de Charles-Quint, don Juan d'Autriche, avait donne le premier
signal de la grande bataille de Lepante, et aneanti les forces navales de
la Turquie, de l'Egypte et de l'Algerie. La construction du chateau
remontait a cette epoque; il portait le nom de San-Silvio, peut-etre parce
qu'il avait ete bati ou occupe par le comte Silvio de Porcia, l'un des
vainqueurs de la campagne. Sur les parois de la salle, Ezzelin vit, a la
derniere lueur du jour, trembloter les grandes sil
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