la main a Ezzelin, qui la baisa d'un
air respectueux et calme en lui disant tout bas: "Madame; etes-vous
contente de moi?--Vous etes a jamais mon ami et mon frere," lui dit
Giovanna. Elle entraina Argiria avec elle, et Morosini, offrant sa main a
la signora Memmo, entraina aussi Ezzelin en s'appuyant sur son bras. C'est
ainsi que le cortege se remit en marche, et gagna les gondoles au son des
fanfares et aux acclamations du peuple qui jetait des fleurs sur le
passage de la mariee en echange des grandes largesses distribuees par elle
a la porte de la basilique. Il n'y eut donc pas lieu cette fois a gloser
sur les infortunes d'un amant rebute, non plus que sur le triomphe d'un
amant prefere. On remarqua seulement que les deux rivaux etaient fort
pales, et que, places a deux pas l'un de l'autre, s'effleurant a chaque
instant et entre-croisant leurs paroles avec les memes interlocuteurs, ils
mettaient une admirable perseverance a ne pas voir le visage et a ne pas
entendre la voix l'un de l'autre.
Lorsqu'on fut rendu au palais Morosini, le premier soin du general fut
d'emmener a part le comte et sa famille, et de leur exprimer
chaleureusement sa reconnaissance pour leur magnanime temoignage de
reconciliation. "Nous avons du agir ainsi, repondit Ezzelin avec une
dignite respectueuse, et il n'a pas tenu a moi que, des les premiers jours
de notre rupture, ma noble tante ne fit les premiers pas vers la signora
Giovanna. Au reste, j'ai ete lache peut-etre en me retirant a la campagne
comme je l'ai fait. Ma douleur me faisait un besoin imperieux de la
solitude. Voila mon excuse. Aujourd'hui je suis soumis a l'arret du destin,
et je ne pense pas que, si mon visage trahit quelque regret mal etouffe,
personne ici ait l'audace d'en triompher trop ouvertement.
--Si mon neveu avait ce malheur, repondit Morosini, il se rendrait a
jamais indigne de mon estime. Mais il n'en sera pas ainsi. Orio Soranzo
n'est pas, il est vrai, l'epoux que j'aurais choisi pour ma Giovanna. Les
prodigalites et les desordres de sa premiere jeunesse m'ont fait hesiter a
donner un consentement que ma niece a su enfin m'arracher. Mais je dois
rendre a la verite cet hommage, qu'en tout ce qui touche a l'honneur, a
l'exquise loyaute, je n'ai rien vu en lui qui ne justifie la haute opinion
qu'il a su donner de son caractere a Giovanna.
--Je le crois, mon general, repondit Ezzelin. Malgre le blame que tout
Venise deverse sur la folle conduite de messer Orio Soran
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