egistrement et quelques romans de Paul de Kock je decouvre un
volume depareille de Montaigne... Ouvert le livre au hasard, relu
l'admirable lettre sur la mort de la Boetie... Me voila plus reveur
et plus sombre que jamais... Quelques gouttes de pluie tombent deja.
Chaque goutte, en tombant sur le rebord de la croisee, fait une
large etoile dans la poussiere entassee la depuis les pluies de l'an
dernier... Mon livre me glisse des mains, et je passe de longs instants
a regarder, cette etoile melancolique...
Deux heures sonnent a l'horloge de la ville, un ancien _marabout_ dont
j'apercois d'ici les greles murailles blanches... Pauvre diable de
marabout! Qui lui aurait dit cela, il y a trente ans, qu'un jour il
porterait au milieu de la poitrine un gros cadran municipal, et que,
tous les dimanches, sur le coup de deux heures, il donnerait aux eglises
de Milianah le signal de sonner les vepres?... Ding! dong! voila les
cloches parties!... Nous en avons pour longtemps...
Decidement, cette chambre est triste. Les grosses araignees du matin,
qu'on appelle pensees philosophiques, on tisse leurs toiles dans tous
les coins... Allons dehors.
* * * * *
J'arrive sur la grande place. La musique du 3e de ligne, qu'un peu de
pluie n'epouvante pas, vient de se ranger autour de son chef. A une des
fenetres de la division, le general parait, entoure de ses demoiselles;
sur la place le sous-prefet se promene de long en large au bras du juge
de paix. Une demi-douzaine de petits Arabes a moitie nus, jouent aux
billes dans un coin avec des cris feroces. La-bas, un vieux juif en
guenilles vient chercher un rayon de soleil qu'il avait laisse hier a
cet endroit et qu'il s'etonne de ne plus trouver... "Une, deux, trois,
partez!" La musique entonne une ancienne mazurka de Talexy, que les
orgues de Barbarie jouaient l'hiver dernier sous mes fenetres. Cette
mazurka m'ennuyait autrefois; aujourd'hui elle m'emeut jusqu'aux larmes.
Oh! comme ils sont heureux les musiciens du 3e! L'oeil fixe sur les
doubles croches, ivres de rythme et de tapage, ils ne songent a rien
qu'a compter leurs mesures. Leur ame, toute leur ame tient dans ce carre
de papier large comme la main,--qui tremble au bout de l'instrument
entre deux dents de cuivre. "Une, deux, trois, partez!" Tout est la pour
ces braves gens; jamais les airs nationaux qu'ils jouent ne leur ont
donne le mal du pays... Helas! moi qui ne suis pas de la musique, cette
|