musique me fait peine, et je m'eloigne...
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Ou pourrais-je bien la passer, cette grise apres-midi de dimanche? Bon!
la boutique de Sid'Omar est ouverte... Entrons chez Sid'Omar.
Quoiqu'il ait une boutique, Sid'Omar n'est point un boutiquier. C'est un
prince du sang, le fils d'un ancien dey d'Alger qui mourut etrangle par
les janissaires... A la mort de son pere, Sid'Omar se refugia dans
Milianah avec sa mere qu'il adorait, et vecut la quelques annees comme
un grand seigneur philosophe parmi ses levriers, ses faucons, ses
chevaux et ses femmes, dans de jolis palais tres frais, pleins
d'orangers et de fontaines. Vinrent les Francais. Sid'Omar, d'abord
notre ennemi et l'allie d'Abd-el-Kader, finit par se brouiller avec
l'emir et fit sa soumission. L'emir, pour se venger, entra dans Milianah
en l'absence de Sid'Omar, pilla ses palais, rasa ses orangers, emmena
ses chevaux et ses femmes, et fit ecraser la gorge de sa mere sous le
couvercle d'un grand coffre... La colere de Sid'Omar fut terrible: sur
l'heure meme il se mit au service de la France, et nous n'eumes pas de
meilleur ni de plus feroce soldat que lui tant que dura notre guerre
contre l'emir. La guerre finie, Sid'Omar revint a Milianah; mais encore
aujourd'hui, quand on parle d'Abd-el-Kader devant lui, il devient pale
et ses yeux s'allument.
Sid'Omar a soixante ans. En depit de l'age et de la petite verole, son
visage est reste beau: de grands cils, un regard de femme, un sourire
charmant, l'air d'un prince. Ruine par la guerre, il ne lui reste de son
ancienne opulence qu'une ferme dans la plaine du Chelif et une maison a
Milianah, ou il vit bourgeoisement avec ses trois fils eleves sous
ses yeux. Les chefs indigenes l'ont en grande veneration. Quand une
discussion s'eleve, on le prend volontiers pour arbitre, et son jugement
fait loi presque toujours. Il sort peu: on le trouve toutes les
apres-midi dans une boutique attenant a sa maison et qui ouvre sur la
rue. Le mobilier de cette piece n'est pas riche:--des murs blancs peints
a la chaux, un banc de bois circulaire, des coussins, de longues pipes,
deux braseros... C'est la que Sid'Omar donne audience et rend la
justice. Un Salomon en boutique.
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Aujourd'hui dimanche, l'assistance est nombreuse. Une douzaine de chefs
sont accroupis, dans leurs beurnouss, tout autour de la salle. Chacun
d'eux a pres de lui une grande pipe, et
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