de titans, le mot
_Liberte_ des hommes delies qui s'embrassent en pleurant. Que ces
sentiments, cette facon de penser, d'etre emu et d'exprimer, est portee
chez M. Hugo a un degre tel qu'elle devient geniale et sublime, la fin
de la deuxieme partie de notre etude le montre.
Reste le fait qu'entre toutes ces visions grossissantes de la nature, M.
Hugo a le plus noblement exalte ses phenomenes crepusculaires et
mysterieux. Ici, a son habitude de concevoir les choses aussi enormes
que les mots, aucune experience antagoniste ne s'oppose. Les mots
_ombre_, _antre_, _nuit_, pris verbalement et portes a leur plus haute
energie, designent des lieux ou des temps dans lesquels les sens de
l'homme sont forcement inactifs, c'est-a-dire ne nous donnent plus aucun
renseignement. De meme les termes plus abstraits: _mystere_, _trouble_,
l'_eternite_, l'_au-dela_, expriment des entites sur lesquelles nous ne
savons rien. Ainsi leur agrandissement n'a pas de bornes comme il en
existe pour les mots figurant des objets communs; dans le domaine du
vague, la fantaisie de M. Hugo, laissee sans limites et sans resistance,
se meut et se deploie a l'infini, comme s'epand un gaz infiniment
elastique, laisse sans pression. Il ne s'occupe pas plus de voir la
chose nulle sous le mot peu precis que la chose mesquine sous le mot
enorme, la chose complexe sous le mot simple, la chose indefinie sous le
mot absolu, les choses vraies enfin sans designations repetees et sans
images appendues, sous les mots[11].
Certaines tendances subsidiaires de M. Hugo sont expliquees par notre
theorie, et la confirment. Est-il maintenant son habitude de designer
les chapitres de ses livres, ses poemes et ses recueils par les titres
metaphoriques, qui ne donnent pas le contenu de l'oeuvre; son erudition
qui comprend toutes les sciences verbales, la metaphysique, la
theologie, la jurisprudence, la philologie, les nomenclatures, et aucune
des sciences realistes et naturelles; sa reforme de la versification,
qui a eu pour effet, par l'introduction de l'enjambement, de permettre
d'exprimer une idee en plus de mots que n'en contient un vers; le
resultat meme du romantisme qui, parti en guerre au nom de Shakespeare
contre l'irrealisme classique, n'a abouti qu'a enrichir la langue
francaise de nouveaux mots; toute la vie du poete, la mission
sacerdotale qu'il s'est assignee, son entree en lice pour la
"revolution" contre le "pape", sa haine des "tyrans" et sa philanthropie
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