i-meme,
qu'allais-je devenir apres que mon beau devouement m'aurait mis a la
porte du college!
La situation n'etait pas gaie, je voyais deja le foyer singulierement
compromis, ma mere en larmes, et M. Eyssette bien en colere.
Heureusement je pensai a Jacques; quelle bonne idee sa lettre avait eue
d'arriver precisement le matin! C'etait bien simple, apres tout,
ne m'ecrivait-il pas que dans son lit il y avait place pour deux?
D'ailleurs, a Paris, on trouve toujours de quoi vivre...
Ici, une pensee horrible m'arreta: pour partir, il fallait de l'argent;
celui du chemin de fer d'abord, puis cinquante-huit francs que je devais
au portier, puis dix francs qu'un grand m'avait pretes, puis des sommes
enormes inscrites a mon nom sur le livre de compte du cafe Barbette. Le
moyen de se procurer tout cet argent?
"Bah! me dis-je en y songeant, je me trouve bien naif de m'inquieter
pour si peu; Roger n'est-il pas la? Roger est riche, il donne des lecons
en ville, et il sera trop heureux de me procurer quelque cent francs a
moi qui viens de lui sauver la vie."
Mes affaires ainsi reglees, j'oubliai toutes les catastrophes de la
journee pour ne songer qu'a mon grand voyage de Paris. J'etais tres
joyeux, je ne tenais plus en place, et M. Viot, qui descendit a l'etude
pour savourer mon desespoir, eut l'air fort decu en voyant ma mine
rejouie. A diner, je mangeai vite et bien; dans la cour, je pardonnai
les arrets des eleves. Enfin l'heure de la classe sonna.
Le plus pressant etait de voir Roger; d'un bond, je fus a sa chambre;
personne a sa chambre. "Bon! me dis-je en moi-meme, il sera alle
faire un tour au cafe Barbette", et cela ne m'etonna pas dans des
circonstances aussi dramatiques.
Au cafe Barbette, personne encore: "Roger, me dit-on, etait alle a la
Prairie avec les sous-officiers." Que diable pouvaient-ils faire la-bas
par un temps pareil? Je commencais a etre fort inquiet; aussi, sans
vouloir accepter une partie de billard qu'on m'offrait, je relevai
le bas de mon pantalon et je m'elancai dans la neige, du cote de la
Prairie, a la recherche de mon bon ami le maitre d'armes.
XII
L'ANNEAU DE FER
Des portes de Sarlande a la Prairie il y a bien une bonne demi-lieue;
mais, du train dont j'allais, je dus ce jour-la faire le trajet en moins
d'un quart d'heure. Je tremblais pour Roger. J'avais peur que le pauvre
garcon n'eut, malgre sa promesse, tout raconte au principal pendant
l'etude; je croyais voir encore l
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