es; mais
c'est le trait caracteristique qui, du premier moment, vous donne la
clef de l'ensemble. L'abandon absolu de toute pudeur, l'absence de
repression, la magistrale insouciance du passant, la fievre et la mort
planant sur le tout malgre une incessante pluie d'eau benite, cela
explique bien des choses, et il ne faut pas s'etonner si l'on a pu batir
tant de cahutes avec les pierres des edifices sacres, si des guenilles
immondes flottent sur les precieux bas-reliefs incrustes dans tous les
murs, et si, dans le monde moral que cet exterieur represente, il y a
des vices infames vainement arroses d'eaux lustrales, et des vertus
natives ecrasees sous d'effroyables miseres.
Je me suis releve de l'abattement moral ou m'avait plonge cette premiere
impression, au milieu des Thermes de Caracalla. Ceci est une ruine
grandiose et dans des proportions colossales; c'est renferme, c'est
isole, silencieux et respecte. La, on sent la terrifiante puissance des
Cesars et l'opulence d'une nation enivree de sa royaute sur le monde.
Mais ce qui, pour mon usage personnel, me semble preferable a tout, ici,
ce qui est unique dans l'univers, c'est le coup d'oeil que, par un ciel
sombre et rougeatre, presente la via Appia, cette route des tombeaux
dont on parle moins dans les livres que de tout le reste, et dont
je n'avais vu aucune image. Je crois que cela est en grande partie
nouvellement exhume et n'a pas encore eu trop de larmes de poetes.
Je vois qu'on fouille encore et que, tous les jours, on decouvre de
nouvelles tombes. Cette etroite, mais incommensurable perspective de
ruines tumulaires, est d'un effet que vous pouvez rever incomparable,
sans crainte d'aller trop loin. C'est une route bordee, sans
interruption, de monuments antiques de toute dimension et de toutes
formes, avec un caractere harmonieux et une profusion de debris d'une
grande beaute. On a rassemble tous ces fragments epars et enfouis; on a
reussi a retablir assez chaque tombeau pour qu'ils aient tous un sens,
une physionomie, et la plupart de leurs inscriptions solennelles ou
facetieuses. Cela s'etend dans la campagne de Rome pendant plus d'une
lieue; et, si l'on fouille toujours, on trouvera peut-etre tous les
monuments de cette route-cimetiere qui allait jusqu'a Capoue.
Le pave de lave basaltique sur lequel vous marchez est, en beaucoup
d'endroits, la voie basaltique meme, et les roues des voitures
s'enfoncent dans les memes rainures qui furent creusees par le pa
|