qu'est-ce qui manque donc pour que ces
ruines ne produisent pas plus d'effet serieux sur le commun des mortels
comme votre serviteur? Pourquoi n'eprouve-t-il qu'un saisissement de
malaise et de regret plutot que de surprise et d'admiration? Pourquoi
lui faut-il faire un notable effort pour se representer le spectre du
passe planant sur ces restes dont l'attitude est encore significative et
la pensee lisible?
J'en cherche la raison, et je trouve celle-ci, qui est fort banale, mais
fort vraie: c'est que les ruines ne sont pas a leur place au beau milieu
d'une ville. Plus elles sont belles, plus elles font paraitre laid tout
ce qui n'est pas elles. La mort et la vie ne peuvent pas trouver un
lien, une transition. Elles effacent mutuellement leur empreinte. On se
demande ici ou est Rome, si elle existe, ou si elle a existe. C'est l'un
ou l'autre, et pourtant je ne vois bien ni l'un ni l'autre. La Rome du
passe n'existe plus assez pour m'ecraser de sa majeste. Celle du present
existe trop peu pour me la faire oublier, et beaucoup trop pour me la
laisser voir. Je sais bien qu'il n'y a pas moyen de relever la Rome
antique; mais il m'est venu un projet a l'etat de vision qui arrangerait
toutes choses a ma guise: ce serait de faire disparaitre la Rome moderne
et de la transporter ailleurs. Nous laisserions sur place ses palais et
ses eglises, ses obelisques, ses statues, ses fontaines et ses grands
escaliers; et, au lieu de ses vilaines rues et de ses affreuses
maisons, nous apporterions de beaux arbres et de belles fleurs que
nous grouperions assez habilement pour isoler un peu les edifices des
diverses epoques sans les masquer. Mais nous ne planterions qu'apres
avoir bien fouille ce sol immense qui nous rendrait autant de richesses
que nous en avons deja a fleur de terre. Oh! alors, ce serait un beau
jardin, un beau temple dedie au genie des siecles, la veritable Rome de
nos reves d'enfant, le musee de l'univers!
Quant a transporter la population dans un air viable et sur une terre
cultivee, la chose faite, elle ne s'en plaindrait pas. Elle n'aurait
certes pas lieu, meme en supposant qu'elle restat sous le joug des
pretres, de regretter l'atmosphere ou elle vegete et le foyer de
pestilence qui l'environne.
Mais assainir cette Rome d'aujourd'hui, au moral et au physique, me
parait plus difficile que le reve de la transplanter ailleurs.
Disons donc, pour en revenir a l'aspect des choses ici qu'elles sont
mal situees rela
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