tant je me sens fatigue. A demain! oui, demain, au lever du
soleil, je penserai a vous qui me disiez: "J'ai tant etudie la
Rome paienne et catholique, que je la connais, je la vois; je reve
quelquefois que j'y suis, et je m'y promene comme dans Paris. Au reveil,
il me reste une impression de bien-etre et d'enthousiasme, de lumiere et
de grandeur."
C'est donc demain que je vais m'eveiller, moi, dans ce beau reve! Je ne
le crois pas encore. Le morne silence qui regne deja au dehors me fait
douter si je ne suis pas encore dans la campagne romaine.
IX
Rome, 19 mars, dix heures du matin.
Je viens de passer une heure a ma fenetre. Je suis sur le monte Pincio,
et j'ai une des plus belles vues de Rome. Oui, c'est ce qu'on appelle
une vue, un grand espace rempli de maisons et de monuments bien
eclaires, probablement quand le soleil s'en mele; mais le ciel est gris,
et il fait froid. La coupe de ce vallon, ou Rome s'enfonce pour se
relever sur ses illustres collines affaissees par le temps, est
tres-gracieuse; mais la ligne environnante est froide, l'horizon trop
pres, et pauvre malgre les grands pins qui se decoupent sur le ciel, du
cote de la villa Pamphili, et qui sont trop clair-semes, trop secs
de contours. Je sais bien que ces monuments, ces palais, ces eglises
innombrables sont a voir de pres, et que cette ville renferme des
tresors pour l'artiste. Mais quelle laide, triste et sale grande ville!
Les colosses d'architecture qui s'en detachent la font paraitre encore
plus miserable... pis que cela, prosaique, sans caractere. Rome sans
caractere! qui pouvait s'attendre a pareille deception! Tartaglia (car,
decidement, c'est le nom qui predomine ici) est derriere moi, me disant
qu'il ne faut pas regarder Rome par un temps sombre; que ce n'est,
d'ailleurs, pas par l'ensemble qu'elle brille...; que la Rome moderne ne
sert qu'a avilir l'ancienne. Je ne le vois que trop. Mais, moi qui ne
comprends pas le detail avant d'avoir saisi la physionomie generale, je
cherche en vain a quoi ceci ressemble, tant ceci ressemble a une ville
mal batie quelconque. Des quartiers entiers de vilaines maisons dejetees
qui ne sont d'aucune epoque, les unes d'un blanc criard, les autres d'un
brun sale; aucune intention, aucun lien, aucune epoque precise dans
toutes ces constructions, et la monotonie, cependant; comment arranger
cela? Est-ce l'uniformite de l'incurie, du mal-etre, de l'abandon de
soi-meme? Il semble que cette population ne
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