inquieter de moi. Chaque jour, songeant
au triple depot qui lui etait confie, ma vie, mon ame et ma bourse, il
me faisait trois questions: "Tu n'es pas malade? Tu ne perds pas ton
temps? Tu n'as pas besoin de quelque argent?" Et, comme je repondais
invariablement _non_, a ces trois interrogations, il s'endormait
tranquille.
--Ainsi, repris-je, tu ne te plains de personne; mais tout a l'heure tu
avais sur les levres, comme par reticence, une sorte de plainte contre
toi-meme.
--Je ne suis ni content ni mecontent de ce que je suis. N'ayant ete
pousse dans aucune direction, je ne peux pas valoir grand'chose, et, si
je me suis permis de vous parler de moi, c'est qu'il faut bien que je
m'excuse de la visite que j'ai ose vous faire.
--Ta visite m'est agreable, ton nom m'est cher, et tu m'interesses par
toi-meme, bien que je ne penetre pas encore beaucoup ton caractere et
tes idees.
--C'est qu'il n'y a rien a penetrer du tout, dit le jeune homme avec un
sourire plutot enjoue que melancolique. Je suis un etre tout a fait nul
et insignifiant, je le sais; car, depuis quelque temps, je commencais a
me lasser de mon bonheur et a reconnaitre que je n'y avais aucun droit;
voila pourquoi, des que l'heure de ma majorite a sonne, j'ai demande a
mon oncle la permission d'aller voir Paris, et, lui faisant part de mes
projets, j'ai obtenu son assentiment.
--Et quels sont tes projets? Peut-on t'aider a les realiser?
--Je l'ignore. Je ne sais si l'on peut etre utile a ceux qui ne sont
bons a rien; et il est possible que je sois de ceux-la. Dans ce cas,
vous pouvez me renvoyer planter mes choux, puisque, par malheur, je
possede assez de choux pour en vivre.
--Pourquoi par malheur?
--Parce que j'ai herite de la part de ma pauvre petite soeur, et que
me voila, depuis quelques jours de majorite, a la tete de vingt mille
francs.
En parlant ainsi avec simplicite et resignation, Valreg se detourna,
et je crus voir qu'il cachait une grosse larme venue tout a coup au
souvenir de sa jeune soeur.
--Tu l'aimais beaucoup? lui dis-je.
--Plus que tout au monde, repondit-il. J'etais son protecteur; je me
figurais etre son pere, parce que j'avais quatre ans de plus qu'elle.
Elle etait jolie, intelligente, et elle m'adorait. Elle demeurait a
trois lieues du presbytere de mon oncle, et, tous les dimanches, on me
permettait d'aller la voir. Un jour, je trouvai un cercueil sur la porte
de sa maison. Elle etait morte sans que j'eusse appr
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