ens du Berry, il manquait d'activite. Il laissa, pour toute
fortune, a ses deux enfants, vingt mille francs a partager.
En province, c'est de quoi vivre sans rien faire. Partout, c'est de quoi
acquerir l'education necessaire a une profession liberale, ou fonder un
petit commerce. Les amis de M. Valreg n'avaient donc pas a se preoccuper
du sort de ses enfants, qui, d'ailleurs, ne restaient pas sans
protection. Leur mere etait morte jeune; mais ils avaient des oncles et
des tantes, honnetes gens aussi, et pleins de sollicitude pour eux.
Pour ma part, je les avais entierement perdus de vue depuis longtemps,
lorsqu'un matin on m'annonca M. Jean Valreg.
Je vis entrer un garcon d'une vingtaine d'annees dont la taille et
la figure n'avaient, au premier abord, rien de remarquable. Il etait
timide, mais plutot reserve que gauche, et, voulant le mettre a l'aise,
j'y parvins tres-vite en m'abstenant de l'examiner et en me bornant a le
questionner.
--Je me souviens de vous avoir vu souvent quand vous etiez un enfant,
lui dis-je; est-ce que vous vous souvenez de moi?
--C'est parce que je m'en souviens tres-bien, repondit-il, que je me
permets de venir vous voir.
--Vous me faites plaisir: j'aimais beaucoup et j'estimais infiniment
votre pere.
--_Ton pere_! reprit-il avec un abandon qui me gagna le coeur tout de
suite. Autrefois, vous me disiez _tu_, et je suis encore un enfant.
--Soit! ton pauvre pere t'a quitte bien jeune! Par qui as-tu ete eleve
depuis?
--Je n'ai pas ete eleve du tout. Deux tantes se disputerent ma soeur...
--Qui est mariee, sans doute?
--Helas, non! Elle est morte. Je suis seul au monde depuis l'age de
douze ans; car c'est etre seul que d'etre eleve par un pretre.
--Par un pretre? Ah! oui, je me souviens, ton pere avait un frere
cure de campagne; je l'ai vu deux ou trois fois: il m'a paru etre un
excellent homme. Ne t'a-t-il pas eleve avec tendresse?
--Physiquement, oui; moralement, le mieux qu'il a pu, prechant
d'exemple; mais, intellectuellement, d'aucune facon. Absorbe par ses
devoirs personnels, ayant, sur toutes choses, et meme sur la religion
et la charite, des tendances toutes positives, comme on pouvait les
attendre d'un homme qui avait quitte la charrue pour le seminaire; il
m'a recommande le travail sans me diriger vers aucun travail, et j'ai
passe dix ans pres de lui sans recevoir d'autre instruction que celle
des livres qu'il m'a plu de lire.
--Avais-tu de bons livres, au
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