mme en camisole, la concierge, secoua
tristement la tete et nous dit tout bas:
"Il ne passera pas la journee. Entrez, mes bons messieurs."
Dans une soupente, sur un mauvais lit de sangle, devant la Sirene de
1847, Jacobus ralait.
Il nous fit signe d'approcher et, d'une voix sifflante, tres faible,
mais encore distincte:
"C'est fini! J'emporte avec moi la peinture philosophique ... Ils sont
tous la, dans ma tete, mes tableaux ... Apres tout, c'est peut-etre un
bien, qu'on ne les ait pas vus ... Ca aurait fait trop de peine aux
camarades." L'agonie, assez douce, dura cinq heures et se termina vers
minuit.
Jean Meusnier ferma les yeux de son vieux copain et, pensif, revoyant
toute sa vie, songeant au mystere des choses, comme effleure d'un grand
coup d'aile invisible, il porta la main a son front et murmura dans un
etonnement douloureux:
"Sacre bahut!"
XI
ONESIME DUPONT
J'ai connu Onesime Dupont dans sa vieillesse. Par lui, j'ai touche a la
generation d'Armand Carrel et des redacteurs du Globe, dont il gardait
la doctrine et les moeurs. Son nom, jadis fameux, est maintenant oublie.
C'etait un homme de 48, un rouge. Il aimait la musique et les fleurs. Je
le voyais quelquefois chez mon pere. Il etait vetu tout de noir, avec
une extreme recherche. Ses facons trahissaient un perpetuel et minutieux
respect de soi-meme. Il gardait a quatre-vingts ans l'allure d'un homme
d'epee. La seule peur qu'il eut jamais connue, la peur de se salir, le
tenait si fort qu'il ne quittait presque jamais ses gants clairs et ne
donnait la main qu'a tres peu de personnes. Il avait d'incroyables
scrupules de conscience et d'hygiene, un besoin constant de proprete
morale et physique. Je n'ai jamais connu un homme si poli ni d'une
politesse si glaciale. La lueur de ses yeux allumes sur une longue face
jaune et les replis de ses levres minces auraient deplu sans un air de
generosite, d'heroisme, de folie, qu'exprimait toute cette antique
figure. Onesime Dupont n'etait pas pauvre. Il passait pour riche, parce
qu'a l'occasion il interrompait la stricte economie de son bien par des
actes d'une magnificence bizarre et singuliere.
Conspirateur durant la monarchie de Juillet, representant du peuple en
1848, proscrit en 1852, depute en 1871, il etait republicain et
travaillait a l'avenement de la liberte sur la terre et de la fraternite
universelle. Sa doctrine etait celle des republicains de son age; mais
ce qu'il avait d'orig
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