e ministre tant redoute, tant craint, tant hai de
son maitre, est descendu dans la tombe, tirant apres lui le roi
qu'il ne voulait pas laisser vivre seul, de peur sans doute qu'il
ne detruisit son oeuvre, car un roi n'edifie que lorsqu'il a pres
de lui soit Dieu, soit l'esprit de Dieu. Alors, cependant, tout le
monde regarda la mort du cardinal comme une delivrance, et moi-
meme, tant sont aveugles les contemporains, j'ai quelquefois
traverse en face les desseins de ce grand homme qui tenait la
France dans ses mains, et qui, selon qu'il les serrait ou les
ouvrait, l'etouffait ou lui donnait de l'air a son gre. S'il ne
m'a pas broye, moi et mes amis, dans sa terrible colere, c'etait
sans doute pour que je puisse aujourd'hui vous dire: Raoul, sachez
distinguer toujours le roi de la royaute; le roi n'est qu'un
homme, la royaute, c'est l'esprit de Dieu; quand vous serez dans
le doute de savoir qui vous devez servir, abandonnez l'apparence
materielle pour le principe invisible, car le principe invisible
est tout. Seulement, Dieu a voulu rendre ce principe palpable en
l'incarnant dans un homme. Raoul, il me semble que je vois votre
avenir comme a travers un nuage. Il est meilleur que le notre, je
le crois. Tout au contraire de nous, qui avons eu un ministre sans
roi, vous aurez, vous, un roi sans ministre. Vous pourrez donc
servir, aimer et respecter le roi. Si ce roi est un tyran, car la
toute-puissance a son vertige qui la pousse a la tyrannie, servez,
aimez et respectez la royaute, c'est-a-dire la chose infaillible,
c'est-a-dire l'esprit de Dieu sur la terre, c'est-a-dire cette
etincelle celeste qui fait la poussiere si grande et si sainte
que, nous autres gentilshommes de haut lieu cependant, nous sommes
aussi peu de chose devant ce corps etendu sur la derniere marche
de cet escalier que ce corps lui-meme devant le trone du Seigneur.
-- J'adorerai Dieu, monsieur, dit Raoul, je respecterai la
royaute; je servirai le roi, et tacherai, si je meurs, que ce soit
pour le roi, pour la royaute ou pour Dieu. Vous ai-je bien
compris?
Athos sourit.
-- Vous etes une noble nature, dit-il, voici votre epee.
Raoul mit un genou en terre.
-- Elle a ete portee par mon pere, un loyal gentilhomme. Je l'ai
portee a mon tour, et lui ai fait honneur quelquefois quand la
poignee etait dans ma main et que son fourreau pendait a mon cote.
Si votre main est faible encore pour manier cette epee, Raoul,
tant mieux, vous aurez plus de tem
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