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le temps devant lui et appelait de tous ses voeux l'heure de
l'action. Il y avait dans son evasion seule, a part les projets
qu'il nourrissait pour l'avenir, projets, il faut l'avouer, encore
fort vagues et fort incertains, un commencement de vengeance qui
lui dilatait le coeur. D'abord sa fuite etait une mauvaise affaire
pour M. de Chavigny, qu'il avait pris en haine a cause des petites
persecutions auxquelles il l'avait soumis; puis, une plus mauvaise
affaire contre le Mazarin, que avait pris en execration a cause
des grands reproches qu'il avait a lui faire. On voit que toute
proportion etait gardee entre les sentiments que M. de Beaufort
avait voues au gouverneur et au ministre, au subordonne et au
maitre.
Puis M. de Beaufort, qui connaissait si bien l'interieur du
Palais-Royal, qui n'ignorait pas les relations de la reine et du
cardinal, mettait en scene, de sa prison, tout ce mouvement
dramatique qui allait s'operer, quand ce bruit retentirait du
cabinet du ministre a la chambre d'Anne d'Autriche: M. de Beaufort
est sauve! En se disant tout cela a lui-meme, M. de Beaufort
souriait doucement, se croyait deja dehors, respirant l'air des
plaines et des forets, pressant un cheval vigoureux entre ses
jambes et criant a haute voix: "Je suis libre!"
Il est vrai qu'en revenant a lui, il se trouvait entre ses quatre
murailles, voyait a dix pas de lui La Ramee qui tournait ses
pouces l'un autour de l'autre, et dans l'antichambre, ses gardes
qui riaient ou qui buvaient.
La seule chose qui le reposait de cet odieux tableau, tant est
grande l'instabilite de l'esprit humain, c'etait la figure
refrognee de Grimaud, cette figure qu'il avait prise d'abord en
haine, et qui depuis etait devenue toute son esperance. Grimaud
lui semblait un Antinoues.
Il est inutile de dire que tout cela etait un jeu de l'imagination
fievreuse du prisonnier. Grimaud etait toujours le meme. Aussi
avait-il conserve la confiance entiere de son superieur La Ramee,
qui maintenant se serait fie a lui mieux qu'a lui-meme: car, nous
l'avons dit, La Ramee se sentait au fond du coeur un certain
faible pour M. de Beaufort.
Aussi ce bon La Ramee se faisait-il une fete de ce petit souper en
tete a tete avec son prisonnier. La Ramee n'avait qu'un defaut, il
etait gourmand; il avait trouve les pates bons, le vin excellent.
Or, le successeur du pere Marteau lui avait promis un pate de
faisan au lieu d'un pate de volaille, et du vin de Chambertin au
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