le laquais.
La route se fit silencieusement. Raoul sentait bien que le moment
de la separation approchait; le comte avait donne la veille
differents ordres pour des choses qui le regardaient, dans le
courant de la journee. D'ailleurs ses regards redoublaient de
tendresse, et les quelques paroles qu'il laissait echapper
redoublaient d'affection. De temps en temps une reflexion ou un
conseil lui echappait, et ses paroles etaient pleines de
sollicitude.
Apres avoir passe la porte Saint-Denis, et comme les deux
cavaliers etaient arrives a la hauteur des Recollets, Athos jeta
les yeux sur la monture du vicomte.
-- Prenez-y garde, Raoul, lui dit-il, je vous l'ai deja dit
souvent; il faudrait ne point oublier cela, car c'est un grand
defaut dans un ecuyer. Voyez! votre cheval est deja fatigue; il
ecume, tandis que le mien semble sortir de l'ecurie. Vous lui
endurcissez la bouche en lui serrant ainsi le mors; et, faites-y
attention, vous ne pouvez plus le faire manoeuvrer avec la
promptitude necessaire. Le salut d'un cavalier est parfois dans la
prompte obeissance de son cheval. Dans huit jours, songez-y, vous
ne manoeuvrerez plus dans un manege, mais sur un champ de
bataille.
Puis tout a coup, pour ne point donner une trop triste importance
a cette observation:
-- Voyez donc, Raoul, continua Athos, la belle plaine pour voler
la perdrix.
Le jeune homme profitait de la lecon, et admirait surtout avec
quelle tendre delicatesse elle etait donnee.
-- J'ai encore remarque l'autre jour une chose, disait Athos,
c'est qu'en tirant le pistolet vous teniez le bras trop tendu.
Cette tension fait perdre la justesse du coup. Aussi, sur douze
fois manquates-vous trois fois le but.
-- Que vous atteignites douze fois, vous, monsieur, repondit en
souriant Raoul.
-- Parce que je pliais la saignee et que je reposais ainsi ma main
sur mon coude. Comprenez-vous bien ce que je veux vous dire,
Raoul?
-- Oui, monsieur; j'ai tire seul depuis en suivant ce conseil, et
j'ai obtenu un succes entier.
-- Tenez, reprit Athos, c'est comme en faisant des armes, vous
chargez trop votre adversaire. C'est un defaut de votre age, je le
sais bien; mais le mouvement du corps en chargeant derange
toujours l'epee de la ligne; et si vous aviez affaire a un homme
de sang-froid, il vous arreterait au premier pas que vous feriez
ainsi par un simple degagement, ou meme par un coup droit.
-- Oui, monsieur, comme vous l'avez fait bien souvent,
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