ndant, continua Athos du ton dont on donne
un conseil salutaire, je crois qu'il vaut mieux ne pas en faire.
-- Et alors, demanda Raoul, ce monsieur Scarron est poete?
-- Oui, vous voila prevenu, vicomte; faites bien attention a vous
dans cette maison; ne parlez que par gestes, ou plutot, ecoutez
toujours.
-- Oui, monsieur, repondit Raoul.
-- Vous me verrez causant beaucoup avec un gentilhomme de mes
amis: ce sera l'abbe d'Herblay, vous m'avez souvent entendu
parler.
-- Je me rappelle, monsieur.
-- Approchez-vous quelquefois de nous comme pour nous parler, mais
ne nous parlez pas; n'ecoutez pas non plus. Ce jeu servira pour
que les importuns ne nous derangent pas.
-- Fort bien, monsieur, et je vous obeirai de point en point.
Athos alla faire deux visites dans Paris. Puis, a sept heures, ils
se dirigerent vers la rue des Tournelles. La rue etait obstruee
par les porteurs, les chevaux et les valets de pied. Athos se fit
faire passage et entra suivi du jeune homme. La premiere personne
qui le frappa en entrant fut Aramis, installe pres d'un fauteuil a
roulettes, fort large, recouvert d'un dais en tapisserie, sous
lequel s'agitait, enveloppee dans une couverture de brocart, une
petite figure assez jeune, assez rieuse, mais parfois palissante,
sans que ses yeux cessassent neanmoins d'exprimer un sentiment
vif, spirituel ou gracieux. C'etait l'abbe Scarron, toujours
riant, raillant, complimentant, souffrant et se grattant avec une
petite baguette.
Autour de cette espece de tente roulante, s'empressait une foule
de gentilshommes et de dames. La chambre etait fort propre et
convenablement meublee. De grandes pentes de soies brochees de
fleurs qui avaient ete autrefois de couleurs vives, et qui pour le
moment etaient un peu passees, tombaient de larges fenetres, la
tapisserie etait modeste, mais de bon gout. Deux laquais fort
polis et dresses aux bonnes manieres faisaient le service avec
distinction.
En apercevant Athos, Aramis s'avanca vers lui, le prit par la main
et le presenta a Scarron, qui temoigna autant de plaisir que de
respect pour le nouvel hote, et fit un compliment tres spirituel
pour le vicomte. Raoul resta interdit, car il ne s'etait pas
prepare a la majeste du bel esprit. Toutefois il salua avec
beaucoup de grace. Athos recut ensuite les compliments de deux ou
trois seigneurs auxquels le presenta Aramis; puis le tumulte de
son entree s'effaca peu a peu, et la conversation devint generale.
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