ce devait lui peser
lourdement; mais il lui etait defendu de rompre avec vous, sous peine
d'etre, le lendemain, pris la main dans le sac. C'est l'honorabilite
de sa vie officielle, ici, qui lui permettait l'autre, celle que vous
ne connaissez pas et qui a devore des sommes enormes. Plus il etait
ici apre et dur, plus il pouvait ailleurs se montrer magnifique. Son
menage de la rue Saint-Gilles lui etait un brevet d'impunite. Le
voyant si econome on le croyait riche. On ne se defie pas des gens qui
semblent ne rien depenser. Chacune des privations qu'il vous imposait
augmentait son renom de probite austere et l'elevait au-dessus du
soupcon...
De grosses larmes roulaient le long des joues de Mme Favoral.
--Pourquoi ne pas me dire toute la verite? balbutia-elle.
--Parce que je l'ignore, madame, repondit le commissaire, parce que
ce ne sont la que des presomptions... J'ai vu bien des exemples de
semblables calculs...
Et regrettant peut-etre de s'etre tant avance:
--Mais je puis me tromper, ajouta-t-il, je n'ai pas la pretention
d'etre infaillible...
Il achevait alors l'inventaire sommaire de toutes les paperasses que
contenait le bureau. Il ne lui restait plus qu'a examiner le tiroir
qui servait de caisse. Il s'y trouvait en or, en petites coupures et
en menue monnaie, sept cent dix-huit francs.
Ayant compte cette somme, le commissaire la tendit a Mme Favoral en
disant:
--Ceci vous revient, madame...
Mais instinctivement elle retira la main.
--Jamais! fit-elle.
Le commissaire eut un geste bienveillant.
--Je comprends votre scrupule, madame, dit-il, et cependant
j'insisterai. Vous pouvez me croire, lorsque je vous dis que cette
petite somme vous appartient bien legitimement. Vous n'avez pas de
fortune personnelle...
L'effort que faisait la pauvre femme, pour ne pas eclater en sanglots,
n'etait que trop visible.
--Je ne possede rien au monde, monsieur, repondit-elle d'une voix
entrecoupee... Mon mari seul s'occupait de nos affaires, il ne
m'en disait rien et je n'aurais pas ose le questionner... Seul, il
disposait de l'argent... Tous les dimanches, il me remettait ce qu'il
jugeait necessaire pour les depenses de la semaine et je lui en
rendais compte... Quand mes enfants ou moi avions besoin de quelque
chose, je le lui disais, et il me donnait ce qu'il croyait utile...
Nous sommes aujourd'hui samedi; de ce que j'ai recu dimanche dernier,
il me reste cinq francs... c'est toute notre fortune...
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