et que tu legueras plus large et plus complete a tes enfants lorsque tu
l'auras portee en toi et fecondee de ta propre essence. Cette mere
de l'humanite, que les bons devraient cherir et venerer, c'est la
philosophie religieuse. Et vous appelez cela le pont aux anes, au lieu
d'avouer que, sans elle, sans cette clarte versee peu a peu, jour par
jour en vous, vous seriez des sauvages!
Je vais te poser une question sans replique: Pourquoi n'es-tu pas un
avide et grossier possesseur de terres, dur au pauvre, sourd a l'idee
de progres, furieux contre le mouvement d'egalite qui se fait parmi les
hommes? cependant tu es le contraire de cet homme-la. Qui t'a rendu
ainsi? qui t'a enseigne, des ton enfance, que l'egoisme est odieux, et
qu'une grande pensee, un beau mouvement du coeur font plus de bien a toi
et aux autres que l'argent et la prosperite materielle? Est-ce l'idee
revolutionnaire repandue en France depuis 93? Non, a moins que ce ne
fut d'une facon indirecte; car nous ne la comprenions guere quand nous
etions enfants, cette revolution qui inspirait autour de nous tant
d'horreur aux uns, tant de regret aux autres. Qui donc detachait
mysterieusement nos jeunes ames de l'egoisme un peu preche et un peu
deifie, il faut en convenir, dans toutes nos familles? N'etait-ce pas
tout bonnement l'idee chretienne, c'est-a-dire le reflet lointain d'une
philosophie antique passee a l'etat de religion, comme toutes des
philosophies un peu profondes? Et, apres, quand nous avons ete
_emeutiers_ et _bousingots_ (de coeur, si nous ne l'avons ete de fait),
qui nous poussait au desir de ces luttes et au besoin de ces emotions?
Etait-ce, comme on l'a dit des republicains d'alors, l'_ambition?_
Nous ne savions pas seulement ce que c'etait que l'ambition; c'etait
l'idee revolutionnaire de 93 qui se reveillait en nous a l'age ou on
lit la philosophie du dix-huitieme siecle, et ou l'on commence a se
passionner pour cette ere d'application incomplete, et funeste a
beaucoup d'egards, mais grande et saine en resultats, qui mene de
Jean-Jacques a Robespierre.
Et, aujourd'hui, pourquoi sommes-nous encore agites d'un besoin d'action
et d'un zele fanatique, sans savoir ou nous prendre et par quel bout
commencer, et a qui nous joindre, et sur quoi nous appuyer? car, voyons,
savons-nous, avons-nous su, depuis, dix ans, tout cela? Si nous l'avions
su, nous n'en serions pas ou nous en sommes. Eh bien! ce qui nous rend
toujours si ardents a une revolu
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