us hater de tout
maudire. Moi qui n'ai jamais ete gate, et qui n'ai encore ete aime de
personne, j'espere encore, j'attends toujours.
--Vous n'avez jamais ete aime de personne?... Vous n'avez pas eu de
mere?... ou la votre ne valait pas mieux que vos maitresses? Pauvre
garcon! En ce cas, vous avez toujours ete seul avec vous-meme, et il
n'y a point de plus terrible tete-a-tete. Ah! je voudrais etre aimant,
Salentini, je vous aimerais, car ce doit etre un grand bonheur que de
pouvoir faire le bonheur d'un autre!
--Etrange coeur que vous etes, Celio! Je ne vous comprends pas encore;
mais je veux vous connaitre, car il me semble qu'en depit de vos
contradictions et de votre inconsequence, en depit de votre pretention
a la haine, a l'egoisme, a la durete, il y a en vous quelque chose de
l'ame qui vous a verse ses tresors.
--Quelque chose de ma mere? je ne le crois pas. Elle etait si humble
dans sa grandeur, cette ame incomparable, qu'elle craignait toujours
de detruire mon individualite en y substituant la sienne. Elle me
developpait dans le sens que je lui manifestais, elle me prenait tel que
je suis, sans se douter que je puisse etre mauvais. Ah! c'est la aimer,
et ce n'est pas ainsi que nos maitresses nous aiment, convenez-en.
--Comment se fait-il que, comprenant si bien la grandeur et la beaute
du devouement dans l'amour, vous ne le sentiez pas vivre ou germer dans
votre propre sein?
--Et vous, Salentini, repondit-il en m'arretant avec vivacite, que
portez-vous ou que couvez-vous dans votre ame? Est-ce le devouement aux
autres? non, c'est le devouement a vous-meme, car vous etes artiste.
Soyez sincere, je ne suis pas de ceux qui se paient des mots sonores
vulgairement appeles _blagues_ de sentiment.
--Vous me faites trembler, Celio, lui dis-je, et, en me penetrant d'un
examen si froid, vous me feriez douter de moi-meme. Laissez-moi jusqu'a
demain pour vous repondre, car me voici a ma porte, et je crains que
vous ne soyez fatigue. Ou demeurez-vous, et a quelle heure secouez-vous
les pavots du sommeil?
--Le sommeil! encore une _blague!_ repondit-il; je suis toujours
eveille. Venez me demander a dejeuner aussitot que vous voudrez. Voila
ma carte.
Il ralluma son cigare au mien, et s'eloigna.
V.
DEPIT.
J'etais fatigue, et pourtant je ne pus dormir. Je comptai les heures
sans reussir a resumer les emotions de ma soiree et a conclure avec
moi-meme. Il n'y avait qu'une chose certaine pour moi, c'es
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