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comme un maitre les parties les plus insignifiantes de son role,
quatre ou cinq vrais dilettanti epars dans les profondeurs de la salle
souriront d'un plaisir mysterieux et tranquille. Quelques demi-musiciens
diront: "Quelle belle musique! comme c'est ecrit" sans reconnaitre
qu'ils ne se fussent pas apercus de cette perfection dans le detail
d'une belle chose si la _seconda donna_ n'etait pas une grande artiste.
Ainsi va le monde, Salentini! Moi, je veux faire du bruit, et je cherche
le succes de toute la puissance de ma volonte, mais c'est pour me venger
du public que je hais, c'est pour le mepriser davantage. Je me suis
trompe sur les moyens, mais je reussirai a les trouver, en profitant
du vieux Boccaferri, de sa fille, et de moi-meme par-dessus tout.
Pour cela, voyez-vous, il faut que je me perfectionne comme veritable
artiste; ce sera l'affaire de peu de temps; chaque annee, pour moi,
represente dix ans de la vie du vulgaire; je suis actif et entete. Quand
j'aurai acquis ce qui me manque pour moi-meme, je saurai parfaitement ce
qui manque au public pour comprendre le vrai merite. Je parviendrai a
etre infiniment plus mauvais que je ne l'ai ete hier devant lui, et par
consequent a lui plaire infiniment. Voila ma theorie. Comprenez-vous!
--Je comprends qu'elle est fausse, et que si vous ne cherchez pas le
beau et le vrai pour l'enseigner au public, en supposant que vous lui
plaisiez dans le faux, vous ne possederez jamais le vrai. On ne dedouble
jamais son etre a ce point. On ne fait point la grimace sans qu'il en
reste un pli au plus beau visage. Prenez garde, vous avez fait fausse
route, et vous allez vous perdre entierement.
--Et voyez pourtant l'exemple de la Cecilia! s'ecria Celio fort anime;
ne possede-t-elle pas le vrai en elle, ne s'opiniatre-t-elle pas a ne
donner au public que du vrai, et n'est-elle pas meconnue et ignoree? Et
il ne faut pas dire qu'elle est incomplete et qu'elle manque de force et
de feu. Voyez-vous, pas plus loin qu'il y a deux jours, j'ai entendu la
Boccaferri chanter et declamer seule entre quatre murs et ne sachant
pas que j'etais la pour l'ecouter. Elle embrasait l'atmosphere de sa
passion, elle avait des accents a faire vibrer et tressaillir une foule
comme un seul homme. Cependant elle ne meprise pas le public, elle se
borne a ne pas l'aimer. Elle chante bien devant lui, pour son propre
compte, sans colere, sans passion, sans audace. Le public reste sourd et
froid; il veut, ava
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