a le cacher plus encore que feu M. son frere;
mais pourtant ce n'est pas le meme homme. On commence a me croire, quand
je dis que celui-ci vaut mieux, et on lui rendra justice plus tard.
L'autre etait sec de coeur comme de corps; celui-ci est un peu brusque
de manieres, et n'aime pas non plus les longs discours. Il ne se fie pas
au premier venu: on dirait qu'il connait tous les tours et toutes les
ruses de ceux qui _quemandent_; mais il s'informe, il consulte; sa fille
ainee le fait avec lui, et les secours arrivent sans bruit a ceux
qui ont vraiment besoin. M. le cure a bien remarque cela, lui qui
s'affligeait tant lorsqu'il a vu venir ce pretendu mauvais sujet: il
commence a dire que les pauvres gens n'ont pas perdu au change.
--Voila qui s'explique, madame Peirecote, et l'histoire gagne en
moralite ce qu'elle perd en merveilleux. Cela se resume en un vieux
proverbe de votre connaissance sans doute: "Les mauvaises tetes font les
bons coeurs."
--Vous avez bien raison, Monsieur, et c'est triste a dire, les trop
bonnes tetes font souvent les coeurs mauvais. Qui ne pense qu'a soi
n'est bon qu'a soi... Il n'en reste pas moins du merveilleux dans cette
maison-la. De tout temps, il s'est passe au chateau des Desertes des
choses que la pauvre monde comme moi ne peut pas comprendre. D'abord, on
dit que tous les Balma sont sorciers de pere en fils, et l'on me dirait
que l'ainee des demoiselles en tient, que cela ne m'etonnerait pas, car
elle ne parle pas et n'agit pas comme tout le monde: elle ne va pas du
tout vetue selon son rang, elle ne porte ni plumes a son chapeau ni
cachemires, comme les dames riches du pays; elle a la figure si blanche,
qu'on dirait qu'elle est morte. Les deux autres demoiselles sont un peu
plus elegantes et paraissent plus gaies; mais l'aine des jeunes gens a
l'air d'un vrai fou: on l'entend parler tout seul, et on le voit faire
des gestes qui font peur. Quant a M. le marquis, tout charitable qu'il
est, il a l'air bien malin. Enfin, Monsieur, vous me croirez si vous
voulez, mais les domestiques du chateau ont peur et sont fort aises
qu'on les renvoie a sept heures du soir, en leur permettant d'aller
faire la veillee et coucher dans le village, ou ils ont tous leur
famille, car ce marquis n'a amene avec lui aucun serviteur etranger
qu'on puisse faire parler. Tous ceux qui sont employes au chateau sont
pris a la journee, parce qu'on a renvoye tous les anciens. Cela fait
que, pendant douze heures de n
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