la vie
reelle (ce grand decousu, recousu sans cesse a propos) n'en etait que
plus frappante et plus attachante.
Dans cet acte, j'admirai d'abord deux talents nouveaux, Beatrice-Zerlina
et Salvator-Masetto. Ces deux beaux enfants avaient l'inappreciable
merite d'etre aussi jeunes et aussi frais que leurs roles; et l'habitude
de leur familiarite fraternelle donnait a leur dispute un adorable
caractere de chastete et d'obstination enfantine qui ne gatait rien a
celui de la scene. Ce n'etait pas la tout a fait pourtant l'intention
du libretto italien, encore moins cette de Moliere; mais qu'importe? la
chose, pour etre rendue d'instinct, me parut meilleure ainsi. Le jeune
Salvator (le Benjamin, comme on l'appelait) joua comme un ange. Il ne
chercha pas a etre comique, et il le fut. Il parla le dialecte milanais,
dont il savait toutes les gentillesses et toutes les naives metaphores
pour en avoir ete berce naguere; il eut un senti ment vrai des dangers
que courait Zerline a se laisser courtiser par un libertin; il la tanca
sur sa coquetterie avec une liberte de frere qui rendit d'autant plus
naturelle la franchise du paysan. Il sut lui adresser ces malices de
l'intimite qui piquent un peu les jeunes filles quand elles sont dites
devant un etranger, et Beatrice fut piquee tout de bon, ce qui fit
d'elle une merveilleuse actrice sans qu'elle y songeat.
Mais, a ce joli couple, succeda un couple plus experimente et plus
savant, Anna et Ottavio. Stella etait une heroine penetrante de
noblesse, de douleur et de reverie. Je vis qu'elle avait bien lu et
compris le _Don Juan_ d'Hoffmann, et qu'elle completait le personnage
du libretto en laissant pressentir une delicate nuance d'entrainement
involontaire pour l'irresistible ennemi de son sang et de son bonheur.
Ce point fut touche d'une maniere exquise, et cette victime d'une
secrete fatalite fut plus vertueuse et plus interessante ainsi, que la
fiere et forte fille du Commandeur pleurant et vengeant son pere sans
defaillance et sans pitie.
Mais que dirai-je d'Ottavio? Je ne concevais pas ce qu'on pouvait faire
de ce personnage en lui retranchant la musique qu'il chante: car c'est
Mozart seul qui eu a fait quelque chose. La Boccaferri avait donc tout a
creer, et elle crea de main de maitre; elle developpa la tendresse,
le devouement, l'indignation, la perseverance que Mozart seul sait
indiquer: elle traduisit la pensee du maitre dans un langage aussi eleve
que sa musique; elle do
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