nt de velours aussi court que le portaient les dandys de
l'epoque, avec des braies aussi larges, des passements aussi raides, des
rubans aussi riches et aussi souples. Rien n'y sentait la boutique, le
magasin de costumes, l'arrangement infidele par lequel l'acteur
transige avec les bourgeoises du public en modifiant l'extravagance ou
l'exageration des anciennes modes, c'etait la premiere fois que j'avais
sous les yeux un vrai personnage historique dans son vrai costume et
dans sa maniere de le porter. Pour moi, peintre, c'etait une bonne
fortune. Le jeune homme etait svelte et fait au tour. Il se dandinait
comme un paon, et me donnait une idee beaucoup plus juste de don Juan
que ne me l'eut donnee le beau Celio lui-meme sur les planches, car
Celio y eut voulu mettre quelque chose de hautain et de tragique
qui outrepasse la donnee du caractere... Mais tout a coup, sur une
observation poltronne de Leporello Boccaferri, il leva la tete vers moi,
statue, d'un air de nonchalante ironie, et je reconnus Celio Floriani en
personne.
Savait-il qui j'etais? Dans tous les cas, mon masque ne lui permettait
guere de sourire a des traits connus, et, comme la piece me paraissait
engagee avec un merveilleux sang-froid, je gardai ma pose immobile.
Quand le premier effet de la surprise et de la joie se fut dissipe, car,
bien que je ne visse pas la Boccaferri, j'esperais qu'elle n'etait pas
loin, je pretai l'oreille a la scene qui se jouait, afin de ne pas la
faire manquer. Mon role n'etait pas difficile, puisque je n'avais qu'un
geste a faire et un mot a dire, mais encore fallait-il les placer a
propos.
J'avais cru, d'apres le choeur, ou, faute d'instruments, des voix
charmantes remplacaient les combinaisons harmoniques de l'orchestre,
qu'il s'agissait de l'opera de Mozart rendu d'une certaine facon; mais
le dialogue parle de Celio et de Boccaferri me fit croire qu'on jouait
la comedie de Moliere en italien. Je la savais presque par coeur en
francais; je ne fus donc pas longtemps a m'apercevoir qu'on ne suivait
pas cette version a la lettre, car dona Anna, vetue de noir, traversa
le fond du cimetiere, s'approcha de moi comme pour prier sur ma tombe,
puis, apercevant deux promeneurs, elle se cacha pour ecouter. Cette
belle dona Anna, costumee comme un Velasquez, etait representee par
Stella. Elle etait pale et triste, autant que son role le comportait en
cet instant. Elle apprit la que c'etait don Juan qui avait tue son pere,
car le
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