de dessiner;
il m'etait impossible de lire, et je mourais d'envie d'agir comme un
ecolier, c'est-a-dire d'aller chercher quelque aventure poetique ou
ridicule sous les murs du vieux chateau.
Je commencai par m'assurer d'un moyen de sortie qui ne fit ni bruit ni
scandale, et je l'eus trouve avant d'etre decide a m'en servir. Les
contrevents de ma fenetre ouvraient sans crier et donnaient sur un petit
jardin clos seulement d'une haie vive fort basse. La maison n'avait
qu'un etage de niveau avec le sol. Cela etait si facile et si tentant,
que je n'y resistai pas. Je me munis d'un briquet, de plusieurs cigares,
de ma canne a tete plombee; je cachai ma figure dans un grand foulard,
je m'enveloppai de mon manteau, et, pour me deguiser mieux, je decrochai
de la muraille une espece de chapeau tyrolien appartenant a M. Volabu;
puis je sortis de la maison par la fenetre, je poussai les contrevents,
j'enjambai la haie; la neige absorbait le bruit de mes pas. Tout dormait
dans le village; la lune brillait au ciel. Je gagnai la campagne, rien
qu'en faisant a l'exterieur le tour de la maison.
J'arrivai au fosse que je connaissais deja si bien. La nuit avait
raffermi la glace. Je montai, non sans peine, le petit escalier, qui
etait devenu fort glissant. J'entrai resolument dans le parc, et
j'approchai du chateau comme un Almaviva prepare a toute aventure.
Je touchais aux portes vitrees du rez-de-chaussee donnant toutes sur
une longue terrasse couverte de vignes dessechees par l'hiver, qui
ressemblaient, dans la nuit, a de gros serpents noirs courant sur les
murs et se roulant autour des balustres. J'avais monte sans hesiter
l'escalier borde de grands vases de terre cuite qui entaillait noblement
le perron sur chaque face. Tous les volets etaient hermetiquement
fermes; je ne craignais pas qu'on me vit de l'interieur. Je voulais
ecouter ces bruits etranges, ces cris, ces roulements de tonnerre, ces
meubles mis en danse, cette musique infernale dont ma vieille hotesse
m'avait rempli la cervelle.
Je ne fus pas longtemps sans reconnaitre qu'on agissait energiquement
dans cette demeure silencieuse et deserte au dehors. De grands coups de
marteau resonnaient dans l'interieur, et des eclats de voix, comme
de gens qui disentent ou s'avertissent en travaillant, frapperent
confusement mon oreille. Tout cela se passait fort pres de moi,
probablement dans une des pieces du rez-de-chaussee; mais les
contrevents en plein chene, rembourres d
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