re m'invitera a la contempler.
--La belle nature est bien laide dais ce temps-ci, dit en souriant le
brave homme. Voyez, que de neige du haut en bas des montagnes! Nous ne
passerons pas aisement le Mont-Cenis!
--Nous verrons bien; d'ailleurs nous ne le passerons peut-etre pas.
Allons, partons. J'ai besoin de voyager. Pourvu que ta voiture roule et
m'eloigne de Mifan, comme de Turin, c'est tout ce qu'il me faut pour
aujourd'hui.
--Allons, allons! dit-il en fouettant ses chevaux, qui firent une longue
glissade sur le pave cristallise par la gelee, tete d'artiste, tete de
fou! mais les gens raisonnables sont souvent betes et toujours avares.
Vivent les artistes!
VII.
LE NOEUD CERISE.
Je ne crois, d'une maniere absolue, ni a la destine, ni a mes instincts,
et je suis pourtant force de croire a quelque chose qui semble une
combinaison de l'un ou de l'autre, a une force mysterieuse qui est comme
l'attraction de la fatalite.
Il se fait dans notre existence, comme de grande courants magnetiques
que nous traversons quelquefois, sans etre emportes par eux, mais ou
quelquefois aussi nous nous precipitons de nous-memes, parce que notre
_moi_ se trouve admirablement predispose a subir l'influence de ce qui
est notre element naturel, longtemps ignore ou meconnu. Quand nous
sommes entraines sur cette pente irresistible, il semble que tout nous
aide a en subir l'impulsion souveraine, que tout s'enchaine autour de
nous de facon a nous faire nier le hasard, enfin que les circonstances
les plus naturelles, les plus insignifiantes dans d'autres moments
n'existent, a ce moment donne, que pour nous pousser vers le but de
notre destinee, que ce but soit un abime ou un sanctuaire.
Voici le fait qui me parut longtemps merveilleux et qui ne fut autre
chose que la rencontre d'un fait parallele a celui de mon ennui et de
mon inquietude. Mon _vetturino_ etait marie non loin de la frontiere, du
cote de Briancon, a une jeune et jolie femme dont il etait separe assez
souvent par l'activite de sa profession. Je lui dis que je voulais aller
du cote de la France, et je le voulais parce qu'il s'agissait pour moi
de prendre la route diametralement opposee a celle de Milan, et aussi
un peu parce que j'avais quelques renseignements vagues sur le pas&age
recent de Celio dans la contree que je parcourais. Mon _vetturino_ vit
que je ne savais pas bien ou je voulais aller, et comme il avait envie
d'aller a Briancon, il prit naturellement la
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