son chateau, sans
vouloir permettre qu'on lui fit une pauvre question, et mettant a la
porte quiconque se montrait curieux du sort de son frere. Cet aine a
vecu jusqu'a l'age de quatre-vingts ans sans se marier, sans adopter
personne, sans souffrir un seul parent pres de lui. Il est mort sans
faire de testament, comme un homme qui dit: Apres moi, la fin du monde!
Mais voila que l'on a vu arriver tout a coup le jeune homme qui a
produit de bons litres, et qui a herite naturellement du titre, du
chateau et des grands biens de la famille. Il y a au moins deux, trois
ou quatre millions de fortune. C'est quelque chose pour un homme qui
etait; dit-on, dans la derniere misere. Pauvre enfant! j'ai ete le
saluer; il s'est souvenu de moi, et il a ete encore galant en paroles,
comme si je n'avais que quinze ans.
--Mais ce jeune homme, cet enfant dont vous parlez, la mere, c'est
donc le nouveau marquis? dit M. Volabu. Diantre! il n'a pas l'air d'un
freluquet pourtant.
--Dame! il peut bien avoir, a cette heure, soixante-douze ans, repondit
naivement madame Peirecote. Aussi il est bien change! Et l'on dit qu'il
est devenu raisonnable, et que sa fille ainee est rangee, econome; que
c'est surprenant de la part de gens qu'on croyait disposes a tout avaler
dans un jour.
--Peste! c'est l'age de s'amender, reprit Volabu. Soixante-douze ans!
excusez! Le _jeune homme_ a du mettre de l'eau dans son vin.
Les epoux Volabu, voyant que j'avais fini de manger, commencerent a
desservir, et je m'approchai du feu, ou je retins la mere Peirecote
pour la faire encore parler. Je n'aurais pourtant pas au dire pourquoi
l'histoire des Balma excitait a ce point ma curiosite.
VIII.
LE SABBAT.
--Et les deux jeunes demoiselles, dis-je a ma vieille hotesse, vous les
connaissez?
--Non, Monsieur. Je n'ai fait encore que les apercevoir. Il n'y a qu'une
quinzaine qu'elles sont ici, et le dernier jeune homme, qui parait avoir
quinze ans tout au plus, est arrive avant-hier au soir. Ce qui fait dire
dans le village que ce n'est peut-etre pas le dernier, et qu'on ne
sait pas ou s'arretera la famille de M. le marquis. Chacun dit son mot
la-dessus: il faut bien rire un peu, pour se consoler de ne rien savoir.
--Le nouveau marquis a donc les memes habitudes de mystere que l'ancien?
--C'est a peu pres la meme chose, c'est meme encore pire, puisque, ce
qu'il a ete et ce qu'il a fait durant tant d'annees qu'on ne l'a pas vu,
il a sans doute interet
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