se. De temps en temps un des acteurs, hors
de scene, imitait avec soin des murmures, des trepignements lointains.
Derriere les decors on fredonnait _pianissimo_ sur un instrument
invisible un air de danse tire de l'opera, en simulant un bal a
distance. Ces details etaient improvises avec un art extreme, chacun
prenant part a l'action avec une grande ardeur et beaucoup de
delicatesse de moyens pour seconder les personnages en scene sans
les distraire ni les deranger. L'arrangement ingenieux des coulisses
etroites et sombres, ne recevant que le jour du theatre qui s'eteignait
dans leurs profondeurs, permettait a chacun d'observer et de saisir tout
ce qui se passait sur la scene, sans troubler la vraisemblance en se
montrant aux personnages en action. Tout le monde etait occupe, et
personne n'avait la faculte de se distraire une seule minute du sujet,
ce qui faisait qu'on rentrait en scene aussi anime qu'on en etait sorti.
Je trouvai donc le moyen de m'utiliser activement, bien que n'ayant pas
a paraitre dans cet acte. Le scenario surtout etait la chose delicate a
observer; et si je ne l'eusse pas vu pratiquer a ces etres intelligents,
qui me communiquaient a mon insu leur finesse de perception, je n'aurais
pas cru possible de s'abandonner aux hasards de l'improvisation sans
manquer a la proportion des scenes, a l'ordre des entrees et des
sorties, et a la memoire des details convenus; Il parait que, dans les
premiers essais, cette difficulte avait paru insurmontable aux Floriaui;
mais Boccaferri et sa fille ayant persiste, et leurs theories sur la
nature de l'inspiration dans l'art et sur la methode d'en tirer parti
ayant eclaire ce mysterieux travail, la lumiere s'etait faite dans
ce premier chaos, l'ordre et la logique avaient repris leurs droits
inalienables dans toute operation saine de l'art, et l'effrayant
obstacle avait ete vaincu avec une rapidite surprenante. On n'en etait
meme plus a s'avertir les uns les autres par des clins d'oeil et des
mots a la derobee comme on avait fait au commencement. Chacun avait sa
regle ecrite en caracteres inflexibles dans la pensee; le brillant des
a-propos dans le dialogue, l'entrainement de la passion, le sel de
l'impromptu, la fantaisie de la divagation, avaient toute leur liberte
d'allure, et cependant l'action ne s'egarait point, ou, si elle semblait
oubliee un instant pour etre reengagee et ressaisie sur un incident
fortuit, la ressemblance de ce mode d'action dramatique avec
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