avec eloquence des discours absurdes. C'est parce qu'on fait
de pareilles pieces et qu'on les monte par-dessus le marche avec une
absurdite digne d'elles, qu'on n'a point d'acteurs vrais, et, je vous
le disais, tous devraient l'etre. Rappelez-vous la Cecilia. Elle a trop
d'intelligence pour ne pas sentir le vrai; vous l'avez vue souvent
insuffisante, presque toujours trop concentree et cachant son emotion,
mais vous ne l'avez jamais vue donner a cote, ni tomber dans le faux; et
pourtant c'etait une pale actrice. Telle qu'elle etait, elle ne deparait
rien, et la piece n'en allait pas plus mal. Eh bien, je dis ceci: que
le theatre soit vrai, tous les acteurs seront vrais, meme les plus
mediocres ou les plus timides; que le theatre soit vrai, tous les
etres intelligents et courageux seront de grands acteurs; et, dans
les intervalles ou ceux-ci n'occuperont pas la scene, ou le public se
reposera de l'emotion produite par eux, les acteurs secondaires seront
du moins naifs, vraisemblables. Au lieu d'une torture qu'on subit a
voir grimacer des sujets detestables, on eprouvera un certain bien-etre
confiant a suivre l'action dans les details necessaires a son
developpement. Le public se formera a cette ecole, et, au lieu d'injuste
et de stupide qu'il est aujourd'hui, il deviendra consciencieux,
attentif, amateur des oeuvres bien faites et ami des artistes de bonne
foi. Jusque-la, qu'on ne me parle pas de theatre, car vraiment c'est un
art quasi perdu dans le monde, et il faudra tous les efforts d'un genie
complet pour le ressusciter.
Oui, mon fils Celio! dit-il en s'adressant au jeune homme qui attendait
pour faire commencer l'acte qu'il eut cesse de babiller, ta mere, la
grande artiste, avait compris cela. Elle m'avait ecoute et elle m'a
toujours rendu justice, en disant qu'elle me devait beaucoup. C'est
parce qu'elle partageait mes idees qu'elle voulut faire elle-meme les
pieces qu'elle jouait, etre la directrice de son theatre, choisir et
former ses acteurs. Elle sentait qu'une grande actrice a besoin de bons
interlocuteurs et que la tirade d'une heroine n'est pas inspiree quand
sa confidente l'ecoute d'un air bete. Nous avons fait ensemble des
essais hardis; j'ai ete son decorateur, son machiniste, son repetiteur,
son costumier et parfois meme son poete; l'art y gagnait sans doute,
mais non les affaires. Il eut fallu une immense fortune pour vaincre les
premiers obstacles qui s'elevaient de toutes parts. Et puis le public ne
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