is a prendre le spleen, et j'allai faire
mes adieux a la duchesse, esperant qu'elle pourrait peut-etre me dire
quelque chose de Celio.
Toute cette aventure m'avait fait beaucoup de mal. Au moment de
m'epanouir a l'amour par la confiance et l'estime, je me voyais rejete
dans le doute, et je sentais les atteintes empoisonnees du scepticisme
et de l'ironie. Je ne pouvais plus travailler; je cherchais l'ivresse,
et ne la trouvais nulle part. Je fus plus mechant dans mon entretien
avec la duchesse que Celio lui-meme ne l'eut ete a ma place. Ceci la
passionna pour, je devrais dire _contre_ moi: les coquettes sont ainsi
faites.
L'inquietude mal deguisee avec laquelle je l'interrogeais sur Celio lui
fit croire que j'etais reste jaloux et amoureux d'elle. Elle me jura ne
pas savoir ce qu'il etait devenu depuis la malencontreuse soiree de
son debut; mais, en me supposant epris d'elle et en voyant avec quelle
assurance je le niais, elle se forma une grande idee de la force de mon
caractere. Elle prit a coeur de le dompter, elle se piqua au jeu; une
lutte acharnee avec un homme qui ne lui montrait plus de faiblesse et
qui l'abandonnait sur un simple soupcon lui parut digne de toute sa
science.
[Illustration 005.png: Cela se voyait a la joie franche... (Page 92.)]
Je quittai Vienne sans la revoir. J'arrivai a Turin; au bout de deux
jours, elle y etait aussi; elle se compromettait ouvertement, elle
faisait pour moi ce qu'elle n'avait jamais fait pour personne. Cette
femme qui m'avait tenu dans un plateau de la balance avec Celio dans
l'autre, pesant froidement les chances de notre gloire en herbe pour
choisir celui des deux qui flatterait le plus sa vanite, cette sage
coquette qui nous menageait tous les deux pour econduire celui de nous
qui serait brise par le public, cette grande dame, jusque-la fort
prudente et fort habile dans la conduite de ses intrigues galantes, se
jetait a corps perdu dans un scandale, sans que j'eusse grandi d'une
ligne dans l'opinion publique, et tout simplement par la seule raison
que je lui resistais.
Pourtant Celio avait ete aussi cruel avec elle, et elle ne s'en etait
pas emue d'une maniere apparente. Il ne suffisait donc pas de lui
resister pour qu'elle s'eprit de la sorte. Elle avait senti que Celio
ne l'aimait pas, et qu'il n'etait peut-etre pas capable d'aimer
serieusement; mais, outre que mon caractere et mon savoir-vivre lui
offraient plus de garanties, elle m'avait vu sincerement emu a
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