'aime mieux que vous me
connaissiez telle que je suis. Je vais vous expliquer mon devouement
pour Celio, et d'abord je dois vous dire que Celio a deux soeurs et
un jeune frere pour lesquels je me devouerais encore davantage, parce
qu'ils pourraient avoir plus besoin que lui des services et de la
sollicitude d'une femme. Oh! oui, si j'avais un sort independant, je
voudrais consacrer ma vie a remplacer la Floriani aupres de ses enfants,
car l'etre que j'aime de passion et d'enthousiasme, c'est un nom, c'est
une morte, c'est un souvenir sacre, c'est la grande et bonne Lucrezia
Floriani!
Je pensai, malgre moi, a la duchesse, qui, une heure auparavant, avait
motive son engouement pour Celio par une ancienne relation d'amitie avec
sa mere. La duchesse avait trente ans comme la Boccaferri. La Floriani
etait morte a quarante, absolument retiree du theatre et du monde depuis
douze ou quatorze ans... Ces deux femmes l'avaient-elles beaucoup
connue? Je ne sais pourquoi cela me paraissait invraisemblable. Je
craignais que le nom de Floriani ne servit mieux a Celio aupres des
femmes qu'aupres du public.
Je ne sais si mon doute se peignit sur mes traits, ou si Cecilia
alla naturellement au-devant de mes objections, car elle ajouta sans
transition:--Et pourtant je ne l'ai vue, dans toute ma vie, que cinq ou
six fois, et notre plus longue intimite a ete de quinze jours, lorsque
j'etais encore une enfant.
Elle fit une pause; je ne rompis point le silence; je l'observais. Il y
avait comme un embarras douloureux en elle; mais elle reprit bientot:
"Je souffre un peu de vous dire pourquoi mon coeur a voue un culte a
cette femme, mais je presume que je n'ai rien de neuf a vous apprendre
la-dessus. Mon pere... vous savez, est un homme excellent, une ame
ardente, genereuse, une intelligence superieure... ou plutot vous ne
savez guere cela; ce que vous savez comme tout le monde, c'est qu'il a
toujours vecu dans le desordre, dans l'incurie, dans la misere. Il etait
trop aimable pour n'avoir pas beaucoup d'amis; il en faisait tous les
jours, parce qu'il plaisait, mais il n'en conserva jamais aucun, parce
qu'il etait incorrigible, et que leurs secours ne pouvaient le guerir
de son imprevoyance et de ses illusions. Lui et moi nous devons de la
reconnaissance a tant de gens, que la liste serait trop longue; mais une
seule personne a droit, de notre part, a une eternelle adoration. Seule
entre tous, seule au monde, la Floriani ne se rebuta pas
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