t moi; vous me ferez
plaisir, et je vous estimerai davantage.
--Ecoutez, Salentini, reprit vivement Celio, vous etes prudent, et vous
louvoyez a travers le monde comme tant d'autres. Je ne crois pas que
vous ayez raison; du moins ce n'est pas mon systeme. Il faut etre franc
pour etre fort, et moi, je veux exercer ma force a tout prix. Si vous
n'etes pas l'amant de la duchesse, c'est que vous ne l'avez pas voulu,
car, pour mon compte, je sais que je l'aurais ete, si cela eut ete
de mon gout. Je sais ce qu'elle m'a dit de vous au premier mot de
galanterie que je lui ai adresse (et je le faisais par maniere
d'amusement, par curiosite pure, je vous l'atteste): je regardais une
jolie esquisse que vous avez faite d'apres elle et qu'elle a mise,
richement encadree, dans son boudoir. Je trouvais le portrait flatte, et
je le lui disais, sans qu'elle s'en doutat, en insinuant que cette
noble interpretation de sa beaute ne pouvait avoir ete trouvee que par
l'amour. "Parlez plus bas, me repondit-elle d'un air de mystere. J'ai
bien du mal a tenir cet homme-la en bride." On sonna au meme instant.
"Ah! mon Dieu! dit-elle, c'est peut-etre lui qui force ma porte;
sortons d'ici. Je ne veux pas vous faire un ennemi, a la veille de
debuter.--Oui, oui, repondis-je ironiquement; vous etes si bonne pour
moi, que vous le rendriez heureux rien que pour me preserver de sa
haine." Elle crut que c'etait une declaration, et, m'arretant sur le
seuil de son boudoir: "Que dites-vous la? s'ecria-t-elle; si vous ne
craignez rien pour vous, je ne crains pour moi que l'ennui qu'il me
cause. Qu'il vienne, qu'il se fache, restons!" C'etait charmant,
n'est-ce pas, monsieur Salentini? mais je ne restai point. J'attendais
cette belle dame a l'epreuve de mon succes ou de ma chute. Si vous
voulez venir avec moi chez elle, nous rirons. Tenez, voulez-vous?
--Non, Celio; ce n'est pas avec les femmes que je veux faire de la
force; les coquettes surtout n'en valent pas la peine. L'ironie du depit
les flatte plus qu'elle ne les mortifie. Ma vengeance, si vengeance il
y a, c'est la plus grande serenite d'ame dans ma conduite avec celle-ci
desormais.
--Allons, vous etes meilleur que moi. Il est vrai que vous n'avez pas
ete _chute_ ce soir, ce qui est fort malsain, je vous jure, et crispe
les nerfs horriblement; mais il me semble que vous etes un calmant
pour moi. Ne trouvez pas le mot blessant: un esprit qui nous calme est
souvent un esprit qui nous domine, et il
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